Résumé
Au temps des dernières avant-gardes, on déclara l'invention d'art, dont l'art « littéraire », au service (de la Révolution, sous l'une ou l'autre de ses formes « communistes »). Quelques spectaculaires expériences d'écriture doublées de prises de parti radicales incarnèrent cette façon de voir.
Puis la restauration des années 1980 et le post-modernisme éclectique des années 1990 déclarèrent que ces excès n'avaient plus lieu d'être - au moins là où médiatiquement brille la vie littéraire [...]. Mais voici que des poètes-penseurs attentifs au monde réel invitent l'ancienne passion bucolique des lyriques à se reconvertir en soutien au chœur des combats écologiques. Ou qu'on s'efforce, contre l'aristocratisme des « grandes irrégularités de langage », de promouvoir la créativité égalitaire d'un « poétariat »(J.-C. Pinson) à l'œuvre dans la multiplicité moderne des réseaux. Ou encore qu'on nous engage à faire de la « poésie intéressante » (qui parle au public de ce qui l'intéresse).
Ainsi reviennent des soucis auxquels sans doute nul créateur n'échappe : à qui entendent parler ceux qui aujourd'hui écrivent à distance de la commande mondaine et des produits pré-formatés par les médiatisations ? pour transmettre quelle expérience ? pour éventuellement produire, ce faisant, quel effet (transformateur, émancipateur - voire au sens politique) ?
Christian Prigent
La question telle qu'il s'agirait de la reprendre ici n'est pas : à quoi la littérature (le récit, le roman, le poème, la pensée même) est-elle utile ou ne l'est-elle plus ? Mais : qu'est-ce qui ne s'y passe plus, de quoi n'est-elle apparemment plus l'enjeu - à supposer qu'il doive s'y passer quelque chose, ou qu'un enjeu en dépende (supposition de principe) ?
À le supposer parce que, tout compte fait, l'histoire une fois finie, au sens où Kojève a d'abord établi qu'elle l'était (dans les années 30, sous les espèces plus rêveuses que réelles du communisme), ou deux fois finie, cette fois au sens de Fukuyama (dans les années 90, sous les espèces cyniques de l'universalisme capitaliste réalisé), la littérature pourrait l'être aussi.
Fin de l'histoire donc, et avec elle des révolutions, des avant-gardes, des devenirs, des manifestes, des scandales, des polémiques (les polémiques qui restent sont morales, c'est-à-dire aujourd'hui sociologiques). L'histoire finie, tout étant « accompli », la question des formes et des langues de la littérature ne se poserait plus ou n'aurait plus à être posée, lesquelles avaient en effet tout à voir avec l'histoire en tant qu'elle se constituait, se construisait diamétralement contre. De là qu'on ne voie plus les formes former une question, et les langues être de plus en plus rares à s'opposer à celle qui domine. [...]
La littérature, donc : quelles questions pose-t-elle encore à ce qui est (qui domine et qu'on dit définitif), et lesquelles lui poser pour que ce qui est et qui domine s'en ressente (qu'il cesse de l'être) ?
Michel Surya
Sommaire
Philippe Beck, Philippe Blanchon, Laurent Cauwet, Éric Clemens, Francis Cohen, Jean-Marie Gleize, Christophe Hanna, Alain Hobé, Alain Jugnon, Emmanuel Laugier, Serge Margel, Jean-Luc Nancy, Nathalie Quintane, Jean-Claude Pinson, Christian Prigent, Sylvain Santi, Michel Surya, Pierre Vinclair
Numéro conçu et réalisé par :
Christian Prigent & Michel Surya
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