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Contrôler les assistés - genèses et usages d'un mot d'ordre
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Librairie Eyrolles - Paris 5e
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Contrôler les assistés - genèses et usages d'un mot d'ordre

Contrôler les assistés - genèses et usages d'un mot d'ordre

Vincent Dubois - Collection Cours et travaux

447 pages, parution le 15/04/2021

Résumé

Les récipiendaires de l'aide sociale sont perçus comme des assistés. Il faut les contrôler pour qu'ils n'en abusent pas. On est entré dans une spirale rigoriste où les dispositifs de contrôle sont de plus en plus performants et intrusifs. Alors que la fraude est en réalité peu coûteuse, la répression a des effets dévastateurs sur des populations déjà en grande difficulté.

Argumentaire
Contrôler les assistés s'est imposé à partir des années 1990 en France comme un mot d'ordre politique et moral. Jamais la lutte contre les potentiels abus des allocataires n'avait été aussi systématiquement organisé ; jamais les bénéficiaires d'aides sociales, et parmi eux surtout les plus précaires, n'avaient été aussi rigoureusement surveillés, ni leurs illégalismes ou leurs erreurs si sévèrement sanctionnés.
Or, pas plus que l'intensification des politiques sécuritaires ne reflète l'augmentation de la délinquance, l'essor du contrôle des assistés ne reflète celle de la " fraude sociale ". On estime à environ 2% la proportion d'allocataires ayant perçu des sommes sur la base de déclarations erronées, pour un montant représentant environ 1% de l'ensemble des allocations versées. Et lorsqu'elles sont constatées, les augmentations tiennent davantage à la mise en œuvre à grande échelle de dispositifs de détection plus efficaces.
Si le souci d'éviter des dépenses injustifiées s'est renforcé avec la focalisation croissante sur la maîtrise des comptes sociaux, le contrôle des assistés ne procède pas essentiellement de préoccupations financières - qui auraient dû conduire à concentrer les efforts sur l'évasion fiscale, dont les montants en jeu (20 milliards de redressements fiscaux) sont sans commune mesure avec les erreurs ou abus des bénéficiaires d'aides sociales (environ 550 millions d'euros par an ces dernières années). De même, le défaut de paiement des cotisations sociales par les employeurs, lié principalement au travail illégal, est quant à lui estimé à plus de 15 milliards par an.
L'essor du contrôle des assistés ne se réduit donc pas à une réponse aux problèmes socio-économiques objectifs qui l'auraient suscité. Il renvoie à un ensemble de processus sociaux et politiques qui ont affecté la gestion des classes populaires et l'organisation de l'État social. Comment la " fraude sociale " a-t-elle été promue en un problème public devenu majeur dans le traitement des questions sociales ? Comment la routine bureaucratique du contrôle des " assistés " a-t-elle été transformée en une politique à part entière, progressivement renforcée et rationalisée ? Quels sont les ressorts du durcissement des pratiques d'inspection et de sanction ? Quels profils sociaux y sont les plus directement exposés ?
C'est à ces questions que ce livre se propose d'apporter des éléments de réponse. Loin de ne voir dans les rodomontades à l'encontre des " faux chômeurs " et des " tricheurs du RSA " qu'une illustration parmi d'autres de polémiques politiques et médiatiques, il montre que l'essor du contrôle des " assistés " et la dénonciation de ceux qui abuseraient de la protection sociale sert désormais la critique des " dérives " d'un État-providence qu'il s'agit de réformer et la promotion d'autres principes d'organisation sociale, où la responsabilité individuelle et la contribution de chacun par le travail l'emportent sur la solidarité ou la réduction des inégalités.
Dans cette économie morale et symbolique en partie renouvelée des politiques sociales, la fraude, figure radicale de " l'assistanat ", constitue une sorte de repoussoir de la " valeur travail ", elle-même placée au cœur d'un nouveau modèle d'État social dit " actif " promu depuis les années 1990 dans les pays occidentaux.
Enfin, le contrôle des assistés met en scène le " sérieux " des acteurs politiques, leur " volontarisme " politique et leur capacité à agir sur le cours des choses. Ces logiques sont essentiellement le fait de leaders de la droite, ceux-là mêmes qui ont le plus directement contribué à renforcer ce contrôle - la présidence de Nicolas Sarkozy formant une période particulièrement décisive à cet égard. Cette posture de rigueur gestionnaire et morale constitue un marqueur de droite, décliné de multiples manières, et tout particulièrement dans l'association du néo-libéralisme et du néo-paternalisme par laquelle s'est opéré le renouvellement idéologique du camp conservateur.
D'une simple pratique de vérification consubstantielle au traitement bureaucratique de la population, le contrôle de la fraude est donc devenu un mode de gouvernement des pauvres. La vulgate économique des " trappes " à inactivité ou à pauvreté a largement accrédité l'idée selon laquelle aides sociales et allocations de chômage constitueraient des sources de " désincitation au travail " en conduisant à des arbitrages au profit de l'assistance. Cette axiomatique est au cœur des politiques de workfare qui constituent la tendance majeure des réformes de l'État social dans les pays occidentaux depuis les années 1990. Elle fonde notamment les dispositifs visant à " rendre le travail attractif " et à " faire de l'emploi une option pour tous ", comme l'expriment les slogans de l'OCDE, de la Commission européenne et des réformateurs de l'État social. Parmi ces mesures incitatives, on trouve les " crédits d'impôts " (Working tax credit au Royaume-Uni depuis 1999, Prime pour l'emploi en France entre 2001 et 2015), et la conditionnalité des aides et les contreparties exigées des bénéficiaires (par exemple En France avec la transformation du RMI en RSA en 2009). Le renforcement du contrôle et des sanctions constitue ainsi l'un des outils coercitifs du workfare et, plus largement, une des manières de " responsabiliser " les " assistés " sociaux. Loin d'un épiphénomène, il est au cœur de ces tendances majeures de la réorientation des politiques sociales.
La thèse de ce livre consiste à voir dans le renforcement du contrôle des assistés l'effet d'un mouvement en spirale - une spirale rigoriste. Le leader politique pourfendeur de la fraude sociale qui parvient à imposer sinon ses vues au moins le problème qu'il soulève en condamnant ses éventuels contradicteurs à paraître naïfs ou complices ; la surenchère des administrations dans des technologies de contrôle toujours plus performantes qui procède tant des concurrences avec d'autres organismes que des injonctions auxquelles elles sont soumises et que, parfois, elles anticipent ; les progrès de la division bureaucratique du contrôle qui déréalise et déshumanise le traitement des cas ; le fonctionnement interne des commissions chargées de la fraude où la clémence est toujours plus difficile à assumer et à défendre que la sévérité ; le contrôleur de la caisse locale dont le point d'honneur professionnel est de traquer la moindre erreur au nom de l'exactitude des dossiers dont la garantie légitime sa fonction : ce sont là quelques-unes des dynamiques relationnelles qui conduisent à renforcer la rigueur du contrôle ; des spirales rigoristes. Pour saisir comment ce qui se joue au sommet de l'État affecte les régions les plus déshéritées de l'espace social, cette recherche a donc choisi un mode d'exposition descendant, partant des transformations politiques et institutionnelles qui ont favorisé l'essor des politiques de contrôle, pour aboutir aux effets qu'elles produisent sur les assistés sociaux.

L'auteur - Vincent Dubois

Vincent Dubois, sociologue et politiste, professeur à l'université de Strasbourg (Institut d'études politiques), il a notamment publié La Politique culturelle. Genèse d'une catégorie d'intervention publique (Belin, 1999 ; rééd. poche 2012) et La Culture comme vocation (Raisons d'agir, 2013).

Autres livres de Vincent Dubois

Sommaire

Prologue
Chapitre 1. Le contrôle dans les transformations de l'État social
Les variations du contrôle
Usages et fonctions du contrôle des assistés
Transformations structurelles et spirales de la rigueur
Les enquêtes
Chapitre 2. Un mot d'ordre politique
Effets d'agenda : les fondements politiques des initiatives gouvernementales
L'officialisation conjoncturelle du problème : le rapport de 1996 sur les " pratiques abusives "
De la rhétorique de campagne au programme d'action publique : la présidence Sarkozy
Effets de naturalisation : l'imposition d'une problématique
L'essor d'une question politique
Une imposition de problématique sans consensus : le cas des questions parlementaires
Effets circulaires : accompagnement médiatique et durcissement de l'opinion
La consécration médiatique d'un mot d'ordre politique
Les logiques du champ journalistique
Faire exister la demande sociale de contrôle
Chapitre 3. Un effet des reconfigurations bureaucratiques
Architectures bureaucratiques et politiques de la rigueur
Financiarisation, étatisation et contrôle
La levée des obstacles au contrôle à distance
La mise en administration de la lutte contre la fraude
La politique par la gestion
De la certification des comptes à l'injonction au contrôle
Du contrôle gestionnaire à la gestion du contrôle
Chapitre 4. Le contrôle comme politique institutionnelle
La conversion au contrôle
De l'obligation légale à l'obligation sociale et politique
Dilemmes et hésitations d'une politique
Affirmation et durcissement d'une politique
La " maîtrise des risques " entre fonction spécifique et responsabilité partagée
Rationalisation et nationalisation
Durcir les règles, durcir par les règles
Encadrer par les dispositifs
Chapitre 5. Renforcer le contrôle par l'encadrement des pratiques d'enquête
Contrôler les contrôleurs
La faible codification et les transformations d'une fonction
Limites de l'encadrement et encadrement des limites
Quand l'encadrement institutionnel se heurte aux socialisations professionnelles
Une socialisation alternative : les contrôleurs mobilisés contre l'institution
Une socialisation institutionnalisée : les limites de la formation comme apprentissage des normes
Un encadrement plus strict pour un contrôle plus strict
Chapitre 6. Renforcer le contrôle par les technologies de l'information et les statistiques
Outiller pour rationaliser : technologies et systèmes d'information
La statistique prédictive au service de la " maîtrise des risques "
Chapitre 7. La division du travail de contrôle
Une nouvelle division interne du travail
Le contrôle comme fonction spécifique
L'enrôlement dans le contrôle
Les relations internes comme source de rigueur
Un nouvel équilibre des pouvoirs au profit des logiques comptables et contentieuses
La rigueur comme effet des interactions collectives : le cas des commissions de qualification de la fraude
L'élargissement de l'espace du contrôle
Les relations partenariales comme source de rigueur
Entre contraintes budgétaires et politisation de l'assistance : les conseils départementaux et le contrôle du RMI/RSA
Chapitre 8. Quand le contrôle s'expose à l'insécurité juridique
L'insécurité juridique des contrôleurs
Devenir contrôleur ou la formation d'un juridisme de position
Les facteurs de l'insécurité juridique
Des réponses à l'insécurité judirique : la variation des pratiques
L'interrogatoire ou les ruses de la raison juridique
Les tactiques de l'interaction d'enquête
Les usages de l'interrogation
Chapitre 9. Quand la standardisation n'empêche pas le pouvoir discrétionnaire
Entre standardisation et pouvoir discrétionnaire
Les transformations de la collecte d'informations
Des interactions moins stratégiques
Maintien et transformations des variations interindividuelles
Une juridicisation en actes : la rédaction des rapports et son évolution
Un style révolu d'écriture bureaucratique : la synthèse narrative
Un style technicisé et standardisé : le formalisme abstrait
Quand la coercition prime
Chapitre 10. Ce que le contrôle fait aux assistés
Massification et ciblage social
Des contrôles plus nombreux pour des résultats en hausse
Le sur-contrôle des plus précaires
La sanction croissante et différentielle des illégalismes
Essor et durcissement des sanctions
Des sanctions socialement différenciées
Des assistés sous contrôle ?
Une forme de régulation économique et morale
La domination bureaucratique
Conclusion

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Caractéristiques techniques

  PAPIER
Éditeur(s) Raisons d'agir
Auteur(s) Vincent Dubois
Collection Cours et travaux
Parution 15/04/2021
Nb. de pages 447
Format 15.5 x 23.1
Couverture Broché
Poids 698g
EAN13 9791097084134

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