Résumé
Nous étions partis de ce constat simple : il y a de moins en moins de place, en France, pour présenter les livres de pensée et en débattre publiquement effectivement. Non seulement l'espace, dans la presse, s'est rétréci, mais on y craint par-dessus tout ce qui paraîtrait tant soit peu théorique, ne tomberait pas d'emblée sous le sens, c'est-à-dire ne répondrait pas aussitôt à l'attente, demanderait plus de patience et d'attention ; bref, réduirait l'audience escomptée. Le régime imposé par les médias étant, non plus de réflexion, mais de réaction, les regards sont branchés sur l'audimat ; on n'y tolère plus de différé. Or qui peut assurer que le public en soit content (puisqu'il n'a plus le choix) ? Qu'il ne puisse être passionné, donc découvreur, donc exigeant ?
Un possible progressivement s'est refermé. Qui donc prend la mesure de cette transformation silencieuse ? Car il existe bien une récession intellectuelle au même titre que la récession économique, mais moins ébruitée. Qui pourtant ne constate que, à l'époque où l'on prétend tant débattre et tout attendre d'un renouveau des idées, les ouvrages de pensée passent de plus en plus inaperçus : sont de moins en moins en mesure de rencontrer un public ? Il est vrai que ce non ébruitement contient déjà en lui l'aveu tacite d'un consentement et d'une résignation. Ou sinon, parfois, convulsivement, l'on se désole : retour au grand lamento du Déclin. Mais on peut aussi faire tout autre chose : résister.
Si l'on me demande quelle est la ligne de l'Agenda de la pensée contemporaine, je répondrai que la vocation de notre revue est de faire apparaître la qualité du travail intellectuel et de la signaler de façon prescriptive à l'attention. De la façon la plus ouverte, la moins cadrée, la moins coincée (et d'abord par la place), la plus exploratrice mais bien sûr dans les limites de nos compétences. Nous traversons les livres de pensée qui paraissent non pas tant pour en rendre compte que pour en développer les enjeux et les questions et les faire participer au débat contemporain (dont on sait qu'il a peu à voir avec les fameux « débats de société » tels qu'ils sont organisés) ; et, si nous traitons principalement de livres, c'est que nous considérons que les livres sont les chantiers où se trame et se communique le travail discret, ardu, têtu, solitaire et solidaire à la fois, de la pensée.