Résumé
" Pour se distraire des longues recherches que nécessite tout ouvrage historique, on a quelquefois la surprise de voir surgir des vieilles paperasses tel personnage qui semble un anachronisme vivant, débris oublié d'un autre âge, spécimen isolé d'une race dès longtemps abolie. L'impression qu'on ressent alors est un peu celle du voyageur qui, dans une région mal connue, apercevrait à l'improviste quelque étrange animal, d'une espèce classée comme éteinte par les naturalistes et rangée parmi les fossiles. Ainsi m'est apparue, dans le cours d'un travail récent, la figure sombre et redoutable de Christophe Bernard von Galen, prince-évêque de Munster dans le siècle de Louis XIV. Ce souverain ecclésiastique, véritable « fléau de Dieu » et fier de cette appellation, ce soudard en robe et en mitre qui, sur vingt-huit années de règne, compta plus de vingt ans de luttes et de batailles, tyran de ses sujets, épouvante des États voisins, pillard, perfide et sanguinaire, eût déjà, a-t-on dit, « fait scandale au XIIIe siècle [2], » à l'époque des prélats guerriers dont la crosse était une massue. Mais qu'un tel pasteur d'âmes ait pu régner et prospérer au temps de Fénelon et de Bossuet, que son peuple l'ait toléré, que les plus illustres souverains, - et le Grand Roi plus qu'aucun autre, - aient cherché son alliance et cultivé son amitié, c'est ce qui confond la pensée et dépasse l'imagination. Mieux que de longues dissertations, de tels spectacles font comprendre combien ce grand XVIIe siècle, si « galant » et si policé quand on le regarde à distance, était, dans la réalité, proche par certains côtés des moeurs brutales du moyen âge, quelle foncière rudesse d'âme se dissimulait trop souvent sous la pompe fleurie du langage et la grâce des belles révérences."