Résumé
Claude Lévi-Strauss, en son retentissant hommage de 1962, fit de Rousseau « le fondateur des sciences de l'homme ». Seulement, il en va de cette désignation comme de celle d'un « Montaigne humaniste ». Répétées à l'envi depuis, elles contribuent le plus souvent à justifier l'humanisme, contre lequel ces auteurs s'élevaient, et à conforter orateurs et auditeurs dans leurs certitudes que l'homme qui a détruit les sauvages et qui est une catastrophe planétaire - à qui la presse donne chaque jour confirmation de ses méfaits, est ce qu'il y a de plus beau, de plus grand et de plus avancé sur la planète. Notre époque, ni plus ni moins outrancière, en cela, que les autres, a tôt fait de mettre Rousseau au service d'une anthropologie vague, façon Troisième République, dont l'homme avec un grand H est le centre d'où émanent des discours pseudo-scientifiques multiples qui le légitiment et qu'il légitime. On ne peut faire lecture plus tronquée de la formule de Lévi-Strauss. Le texte, d'où elle est issue, y constitue, en effet, un véritable brûlot, contre cet humanisme qui, au nom d'une prétendue nature de l'homme, multiplie les lectures empiristes et positivistes de l'œuvre, en particulier pour ce qui touche, entre autres, à la politique de Rousseau. Il convient de redonner tout son sens à l'hommage straussien et pour ce faire, ne siérait-il pas aux chercheurs en sciences humaines d'aujourd'hui philosophes, sociologues, littéraires, historiens, juristes, économistes, psychanalystes, éthologues, primatologues, de penser, ensemble, les limites d'une telle anthropologie afin de s'interroger quant au contenu et aux méthodes de leur discipline respective vis-à-vis de la réflexion de l'homme, initiée par Rousseau ?