Résumé
À L'ORIGINE DE LA REVUE LITTORAL, il y a, dans les arcanes de la Côte, tout un corpus de textes à découvrir et à inventorier, des textes d'horizons narratifs aussi divergents que polymorphes, et une conception de la littérature à la fois libérale et circonscrite. Libérale d'abord parce que comprise au sens d'«écriture», donc ouverte à toutes les formes d'écrits (qu'ils soient biographiques, intimes, politiques, administratifs, poétiques, fantastiques, polémiques, relationistes...); circonscrite ensuite à cause de la perspective régionale adoptée. L'angle d'attaque de son étude: la Côte-Nord comme objet d'écriture, comme objet de réflexion, comme cadre fictif... ou réel... de récits de tout genre, passés et à venir. Approche arborescente s'il en est une, mais combien riche sur le plan de la représentativité nord-côtière, car il existe sans contredit un imaginaire nord-côtier qui n'est pas fortuit, comme le démontre le contenu de ce second numéro de Littoral, mais subordonné aux espaces couverts et aux inflexions plurielles des langages, des genres et des sujets exploités au fil du temps et des auteurs de tout acabit. La relecture des Cahiers d'histoire, présentée dans la section Dossiers, est à cet égard assez révélatrice.À la lecture de cette seconde édition de Littoral, on constatera que le contact avec la Côte semble d'abord se faire par le biais d'une navigation, routière (De la fin de la route à la fin des déroutes...; Une courtepointe nordique; La Côte-Nord des anglophones: un aperçu) ou fluviale (Louis Jolliet (1645-1700), Relationniste; Pierre Perrault et son périple initiatique des «Toutes Isles»), une navigation parfois initiatique mais toujours assujettie aux aléas des rencontres, des observations et des intérêts poursuivis, consciemment ou non, par les voyageurs. Le regard ainsi porté sur la Côte en est un de fascination et d'étonnement, à cause des nombreux défis attisés par son étendue, par la rigueur de son climat, par l'esprit de ses habitants et par une présence culturelle multiforme qu'elle lance à ses observateurs.Un tel territoire ne peut que voir naître des héros de la trempe d'un Napoléon-Alexandre Comeau (Napoléon-Alexandre Comeau, en quatre (ou cinq?) livres) ou d'un Donald G. Hodd (1926: Le docteur Hodd arrive à Harrington Harbour), héros dont on aura tôt fait de relater les exploits de manière biographique... ou autobiographique; et attirer un intellectuel comme Henry de Puyjalon (Le bestiaire du comte de Puyjalon).Mais à bourlinguer de la sorte sur la Côte-Nord et dans les écrits qu'elle suscite, on constate également qu'elle est aussi l'occasion d'une rencontre de cultures, rencontre qui, toujours, pose d'une manière ou d'une autre la question identitaire («L'aventure est dans chaque souffle de vent»; La mort d'un chef... une mort collective?; Compte rendu de Croyances et rituels chez les Innus (1630-1650) / L'univers religieux des Tsachennut; Retour à la source; Nutashkuan).Finalement, équilibre entre le divertissement narratif et les réflexions où se mêlent les modulations d'une époque, d'un milieu et d'un espace, on ne peut faire autrement que de se rendre à l'évidence, en parcourant les articles et les inédits qui sillonnent ce numéro, que la Côte est aussi, et de plus en plus, un de ces territoires imaginaires qui interpellent la sensibilité et l'intelligence des lecteurs de toute provenance (La Côte-Nord apprivoisée par le haïku; Haïkus), qui offre aux auteurs la conjoncture nécessaire pour laisser libre cours à une imagination débordante (L'écologie inversée d'«Erres boréales» (1944): le Nord tropicalisé) ou pour questionner leur rapport à l'écriture (Marie-Pier Deschênes et [S]a voix des murmures; «Slash», l'amont et l'aval).Dès lors, la distinction ~ que l'on souhaiterait bien voir substituée à une évaluation plus nuancée parce que trop souvent péjorative, ~ qui oppose littérature québécoise et littérature régionale, pour ne pas dire littérature du «terroir», ne tient probablement plus la route. Si la littérature québécoise est aujourd'hui légitimée, c'est parce qu'elle a abondamment été étudiée, explorée, analysée et critiquée: en témoignent les travaux du CRILCQ (Centre de recherche en littérature québécoise) et les sept volumes du Dictionnaire des oeuvres littéraires du Québec, puis les nombreuses revues, chroniques, thèses ou mémoires qui ont pour objet d'étude le corpus littéraire québécois. Mais le fait est que la charpente de ce corpus, dans son évocation la plus généreuse, s'est aussi érigée d'un certain point de vue sur la base d'une écriture de type régional. Et il semble que ce soit particulièrement vrai en ce qui concerne les écrits de la Côte-Nord. Or, c'est justement d'une représentativité nord-côtière que se réclament les recherches du Grénoc puisque les travaux effectués à partir du corpus étudié tendent vers cette spécificité «littéraire» régionale, une spécificité qui doit à son tour être explorée, analysée et critiquée.Littérature du terroir, littérature régionale, littérature québécoise... et pourquoi pas tout simplement littérature... ou écriture? Parce qu'il existe bel et bien un propos nord-côtier dans l'écheveau du corpus québécois. Il s'agit donc ici de comprendre la production littéraire québécoise dans une perspective d'études régionales où les mots donnent à voir et à rêver une culture et une interprétation plurielles d'un même univers...