Résumé
Pourtant, au départ, ils étaient 439. 439 rappelés, qui se répartissaient en résignés, en grognons, en râleurs, avec le contingent habituel de paumés, d'encombrants, de durs et de moins durs et les « pour l'exemple », les rouges, en vrac, venant de la vie civile et rassemblés par hasard pour une guerre qui n'a jamais dit son nom : et les chiffres alors ? au départ : 439 survécurent : 84 355 manquent à l'appel. Ce livre est l'histoire du « Commando Noir », l'histoire d'un bagne militaire, un « Biribi » de notre génération. Un Biribi plus odieux encore que l'autre, par le camouflage qui entoure sa noire existence, la lâcheté et l'hypocrisie qui gomment sa brutale réalité. C'est l'histoire des morts, mais aussi l'histoire des derniers survivants qui errent dans la vie d'aujourd'hui comme des fantômes définitivement terrifiés d'avoir traversé l'enfer. Roland Perrot accuse : il pourrait reprendre sans y changer un mot la déclaration collective de Devaux, Trouilleux et Hervé, lors de leur procès à Rennes. Nous en extrayons ces paragraphes : Nous sommes en prison pour avoir estimé qu'il ne suffit pas de râler contre une condition qui serait injuste, mais qu'il faut agir pour la changer. Nous avons pu constater que nous avions - en face de nous - un système avec ses valeurs, sa hiérarchie, sa police et ses prisons. Nous avons également pu constater que, seul face à cette machine, l'appelé ne peut que se briser les reins, d'autant que tout est fait, par le système des punitions, des permissions, des récompenses, pour développer la mentalité du « chacun pour soi ». Voilà pourquoi nous avons lutté, à notre modeste échelle, pour donner un moyen d'expression collective aux appelés. Voilà pourquoi nous avons diffusé ces tracts, dans lesquels nous n'avons fait qu'exprimer ce que la majorité des bidasses pense tout bas, afin d'en faire autre chose que des robots laissant, à la grille de la caserne, leur esprit critique et leur personnalité. Mais nous avons voulu aussi leur permettre de s'organiser, et d'agir collectivement. Car c'est là la seule garantie pour que la jeunesse ne subisse pas le bourrage de crâne militariste, ou qu'elle ne soit pas utilisée par le pouvoir comme force de répression et, qui sait, servir de masse de manœuvre à des colonels, qui ont montré - à Alger ou en Grèce - comment ils savent défendre la démocratie. On nous a dit que l'appelé est un citoyen, qui a certains devoirs par rapport à la nation. Mais nous disons qu'il n'y a pas de devoirs sans droits. Et que dirait l'ouvrier, s'il était jugé pour faits de grève par un jury composé du patron et de la maîtrise ? C'est pourtant ce qui se passe aujourd'hui, où nous sommes jugés par les représentants de la hiérarchie militaire. La seule chose qui nous importe aujourd'hui, est que nous sommes sûrs d'être compris par les jeunes, sûrs d'être compris par les appelés, qui n'ont pu trouver les moyens d'exprimer leur révolte, sûrs d'être compris, enfin, par les travailleurs qui ne veulent pas voir leurs fils trahir leur lutte et leur drapeau qui sont les nôtres.