Résumé
Si, comme le résume Valéry, la poésie consiste à obtenir du langage plus de sens et plus de beauté, l'oeuvre de Virgile s'offre pour illustrer magnifiquement cette double exigence. Mais si une Muse plus inspirée demande encore davantage au poète - un langage qui transporte ou, selon l'image de Baudelaire, une lumière qui brille et qui guide -, alors la voix de Virgile, faisant écho à celle d'Homère, annonçant Dante et Hugo, fait entendre les accents du "Prophète de Rome" sur une musique incomparable, et c'est de cet immense poète que Claudel a pu dire qu'il était "le plus grand génie que la terre ait jamais porté". L'oeuvre canonique de Virgile, comme on sait, se compose de trois titres : "Cecini pascua, rura, duces", dit l'épitaphe attribuée au poète. "J'ai chanté les pâturages, les campagnes, les héros." Le premier terme renvoie aux Bucoliques, le deuxième aux Géorgiques, le troisième à l'Énéide. Cette formule condense un édifice sans autre exemple dans la littérature antique. Socrate insistait sur le fait que chaque poète n'est bon que dans un genre, et cette loi communément admise, avec quelques nuances, s'applique aussi aux Latins - sauf à Virgile. Chacun de ces poèmes, en effet, est le joyau d'un genre spécifique qui s'inscrit dans une aire indépendante. Virgile ne s'est pas contenté d'étinceler dans le domaine de la poésie bucolique, il a voulu régner sur la poésie didactique, puis sur l'épopée. Ces réalisations révèlent la volonté extrêmement audacieuse d'occuper le plus d'espace possible dans le champ poétique que la tradition avait ouvert avant lui, comme s'il démentait pour lui-même un principe qu'il énonce dans les Bucoliques, "non omnia possumus omnes" : "bons à tout, nous ne le sommes pas tous". Chaque oeuvre est autonome, et pourtant le poète multiplie les liens qui les attachent entre elles, obtenant que cette extraordinaire diversité forme néanmoins un ensemble incontestable. Quant au jugement de qualité, même si l'Énéide, par son ampleur, occupe une position dominante, elle n'est pas un plus grand chef-d'oeuvre que les Géorgiques ; et les Bucoliques, étant parfaites, ne peuvent, en un sens, être dépassées. Sur l'enluminure de Simone Martini où l'on voit Virgile dans la pose du berger Tityre, trois arbres d'égale dimension figurent cette profonde équivalence. Cette édition propose le texte latin et une traduction, nouvelle pour les Bucoliques et pour l'Énéide, révisée pour les Géorgiques, de ces trois grandes oeuvres. S'y ajoutent des pièces dites "attribuées" : virgiliennes à défaut d'être de Virgile, elles appartiennent à ce que l'on appelle l'Appendix vergiliana. Il importe peu, au fond, que la descente aux enfers de l'héroïque Moustique dans la petite épopée qui porte son nom (en latin, Culex) annonce ou pastiche le célébrissime livre VI de l'Énéide. On ne prête qu'aux riches, et la constitution, sans doute dans