Résumé
Ainsi, souvent un chevalier ne pouvait donner le nombre d’hommes exigé par son suzerain, ni apporter à l’armée un état conforme à son rang ; parfois même, il ne se présentait pas. Et les montres d’armes contiennent ces mentions : tel chevalier est trop pauvre pour fournir une ou plusieurs lances ; il est trop misérable pour faire les frais d’un équipement de guerre. Cet état de pauvreté, une des causes de l’extinction des races chevaleresques, explique pourquoi un grand nombre de familles bourgeoises contractent des alliances avec les maisons nobles de nom et d'armes dès le XVe s., et principalement aux XVIe et XVIIe s. Pour vivre noblement, l’on était obligé d’épouser la fille de riches bourgeois, ou de marier sa fille à un plébéien opulent si on ne voulait pas qu’elle restât dans le célibat. Le gentilhomme pauvre repoussait-il la mésalliance, il ne lui restait que le choix, soit de voir finir son nom dans la pauvreté ou le cloître, soit de la dérogeance, plus fréquente qu’on ne le croit. On connaît quelques-unes de ces maisons nobles qui tombèrent aux derniers degrés de l’échelle sociale ; mais bien d’autres familles sont regardées comme éteintes qui subsistent encore dans une chaumière ou exercent un métier d’artisan. Aux XVIe et XVIIe s. surtout, les plus anciennes maisons disparurent, avec l’indépendance féodale. C’est alors que se forma et se développa la noblesse de robe issue des gens de loi : greffiers, notaires, officiers des justices seigneuriales, puis des bailliages et des cours souveraines. Et les lettres de noblesse, les érections de terres en marquisats, comtés et baronnies achevèrent de renouveler l’aristocratie franc-comtoise.
La noblesse d’anoblissement fut la plus nombreuse. Sous les princes de la maison d’Autriche et d’Espagne, c’est par centaines que l’on compte les anoblissements, généralement conférés, d’ailleurs, à des hommes distingués par leur mérite, leurs lumières ou les services rendus. En outre, il y avait des charges anoblissantes de droit ou moyennant certaines conditions. Les sources de la noblesse octroyée furent les suivantes :
D’abord les Offices du Parlement, y compris les greffes. En 1784, il y avait au Parlement de Besançon 85 charges anoblissantes.
Les Offices à la Chambre des Comptes. Il y en avait 77 en 1763. Après sa suppression en 1771, les offices au Bureau des Finances de Besançon jouirent du même privilège.
Les chaires à l’Université, dont l’anoblissement ne se transmettait aux descendants qu'après un professorat exercé pendant vingt ans.
Il faut remarquer, sur ces trois sources d’anoblissement, que fréquemment les charges se transmettaient de père en fils dans une famille déjà souvent noble ; parfois aussi, faute de postérité directe, la noblesse n’alla pas plus loin que le titulaire de la charge.
Ajoutons encore les anoblissements résultant de la charge de cogouverneur de la cité de Besançon ; cette charge subsista de 1260 à 1674. Néanmoins elle ne fut pas toujours considérée comme anoblissante ; car ce droit honorifique lui fut fréquemment contesté en dehors des limites du territoire de la cité impériale.
Les charges de Commissaires des Guerres.
Les offices de Secrétaires du roi, et autres charges des Chancelleries près les Cours souveraines.
L’anoblissement était encore conféré par l’exercice de charges joint à certaines conditions. Ainsi, en vertu de l’Édit du 1er novembre 1750 étaient anoblis tous ceux qui étaient parvenus au grade d’Officier général, et ceux arrivés au grade de capitaine qui justifiaient que leur père et leur aïeul avaient fourni le même service.
Puis, les souverains octroyaient la noblesse par lettres patentes et conféraient des titres. À ce droit, attribut universel de la souveraineté, participaient les abbés de Saint-Claude, investis des droits régaliens sur leurs terres. On connaît plusieurs anoblissements concédés par eux.
Des lettres d’anoblissement ont été confondues avec celles de confirmation de noblesse et celles dites récognitives, et encore celles dites de réhabilitation, et même avec les lettres portant permission de posséder fief pour les non nobles. Ces confusions entraînaient des erreurs importantes, faciles à éviter en recourant aux documents originaux.
Enfin la noblesse était légalement acquise en Franche-Comté par la possession d’état centenaire de la qualité de noble. Plusieurs familles d'ancienne bourgeoisie, ayant des armoiries, habituées à contracter des alliances dans la noblesse, finirent par s’y introduire peu à peu ; c’est ce qu’on appelait les nobles par prescription.
Généralement ceux qui arrivaient ainsi à la noblesse en vivant noblement étaient de riches bourgeois ; et au siècle dernier, beaucoup acquéraient une des nombreuses charges anoblissantes, “ces savonnettes à vilain,” comme on disait alors.
À propos des anoblissements il peut être utile de reproduire ce passage du P. Dunand, qui explique bien des erreurs, volontaires ou non, de nos généalogistes, et indique comment on pouvait arriver à la noblesse de prescription : “L’on donnait anciennement en Franche-Comté la qualité de nobles aux docteurs ès droits, et encore que cette qualité n'eût jamais été que personnelle, quelques-uns entraient aux États à cause des fiefs qu’ils possédaient, en sorte que les voyant dans les tenues des États au rang de la noblesse, ceux qui ont produit une suite de docteurs avec la qualité de nobles et la possession de quelques fiefs ont trouvé le secret de se maintenir dans le même état ou plutôt dans leur usurpation.”
On ne compte pas parmi les nobles ceux qui n’ont d’autre droit à ce titre que la descendance féminine : “Le ventre affranchit...” disait le jurisconsulte Loysel en ses Institutes coutumières. Cette maxime de droit était en vigueur au comté de Bourgogne comme dans toute la France, où la mère affranchissait, mais n'anoblissait pas, sauf en Champagne, Beauvoisis et quelques autres petits pays coutumiers du Centre et du Nord, en vertu de certains privilèges. Il n’y eut en Franche-Comté que deux familles jouissant de l’anoblissement par les femmes : “Philippe le Bon, en anoblissant la famille Poinsot, de Chatenois, accorde que les filles ennobliraient leurs époux ; les Sonnet ont été anoblis en conséquence. Dans la suite, un comte de Bourgogne anoblit de même un Grégoire, dont une fille anoblit de même les Buretel.”
Dans la noblesse il y avait différents titres : écuyer, chevalier, comte, marquis, baron, etc. Si on excepte les barons de création impériale ou de la Restauration, presque toutes les familles décorées de ce titre remontent à une haute antiquité. Les titres donnés par la maison d'Autriche et le roi de France ne furent que ceux de comte et marquis, à quelques rares exceptions près, et ne remontent pas, pour la plupart, au-delà du siècle dernier.
Quant au préjugé de la particule, qui fait que presque toutes les familles nobles en ont fait précéder leur nom, il n’est pas besoin de le réfuter ici : chacun le sait, on peut être noble sans particule, de même que la particule seule ne donne aucun droit à la noblesse. Mais telle est la force de l’habitude et du préjugé, et surtout de la vanité, que ce contresens de mettre devant un nom de famille la particule, qui est le propre de l’apposition d’un nom de terre, augmente chaque jour et finira par passer aux yeux de tous pour le signe distinctif, le critérium de la noblesse, si absurde que ce soit. Cette habitude de changer son nom est déjà ancienne. Montaigne ne disait-il pas, il y a trois cents ans : “C’est un vilain usage, et de très mauvaise conséquence en notre France, d’appeler chacun par le nom de sa terre et de sa seigneurie, et la chose du monde qui fait le plus mesler et mécognoistre les races.”
Actuellement, cette observation du philosophe périgourdin serait plus juste que jamais. Fort peu de familles nobles, en effet, portent leur nom patronymique dans l’habitude de la vie. La plupart prennent et portent seulement le nom d’une terre leur ayant appartenu ; d’ordinaire, ce nom est celui d'une autre famille plus ancienne, noble de nom et d’armes. Et presque toutes les familles qui ont conservé leur nom patronymique seul l’ont fait précéder de la particule, s’il ne l’était déjà, afin de paraître au même rang que les premières.
Ces changements irréguliers ont causé de nombreuses confusions. Cependant, pour ne pas en entraîner de nouvelles et respecter l'usage, il a paru utile d’inscrire dans ce nobiliaire les familles sous leur nom patronymique, en y ajoutant la particule et le nom de terre qu’elles ont pris, soit récemment, soit depuis longtemps déjà.
Pour les armoiries, nombre de bourgeois, parfois même des marchands et de riches artisans, en possédaient aussi bien que les nobles.
Le fisc aux abois durant les guerres ruineuses de la dernière période du règne de Louis XIV, n’avait rien trouvé de mieux, pour se créer des ressources, que d’imposer l'enregistrement des armes à la classe même du Tiers État, enregistrement coûteux et dont l’omission, souvent impunie du reste, entraînait une amende. Or, jamais personne n’a regardé comme nobles tous ces blasonnés.
En Franche-Comté, les gentilshommes, dès le XVIIe s., remplissaient indistinctement des charges de robe et d’épée sans se préoccuper si la noblesse de leur maison venait de l'une ou de l'autre. Malgré ce qu’on en a dit, ces deux noblesses se valent et sont également honorables ; nous ne faisons de distinction qu’entre la noblesse de race et la noblesse acquise ; celle-ci est depuis longtemps la plus nombreuse dans la province, l’autre ayant disparu presque entièrement, comme nous l’avons dit. Reconnaissons-le aussi, la Franche-Comté compte autant d’illustrations dans la noblesse acquise que dans la noblesse de race. Et certes, il n’y a rien que de glorieux dans l’anoblissement conféré à une famille dans la personne de son chef, en récompense de ses services ou de ses talents ; et nous avouons ne pas comprendre cette petitesse d’esprit commune à bien des gens, de ne pas savoir reconnaître leurs origines, dont ils devraient être fiers cependant. Mais “si la noblesse de robe rendait des services aux princes, aux lois, au pays, par ses mérites personnels, si elle méritait d’être traitée d’égale à égale par la noblesse d’épée, pour qui vivre noblement signifiait vivre dans l’oisiveté, il ne faut pas oublier qu’en temps de guerre, celle-ci ne marchandait pas son sang et payait bien ses titres ; dans les XVIIe et XVIIIe s., elle mit sa gloire à montrer qu’elle n’avait pas dégénéré des premiers barons, ses ancêtres ; et la longue liste de ses blessés et de ses morts sur tous les champs de bataille prouve qu’elle ne marchandait pas son sang : il n’est pas une seule vieille famille qui ne puisse ajouter au nom de quelques-uns de ses ancêtres : tué à l’ennemi. C’est là le plus beau des titres et c’est un titre qui ne se prescrit pas.” »
Nobiliaire de Franche-Comté , par R. de Lurion
Date de l'édition originale : 1890
Sujet de l'ouvrage : Franche-Comté (France) -- Généalogie
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Caractéristiques techniques
PAPIER | |
Éditeur(s) | Hachette |
Auteur(s) | R Lurion |
Collection | Littératures |
Parution | 01/03/2018 |
Nb. de pages | 890 |
Format | 15.6 x 23.4 |
Couverture | Broché |
Poids | 1193g |
EAN13 | 9782019980825 |
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