Résumé
Au mois d'avril 1431, Messer Pietro Querini, de Venise, appareille de Candie, en Crête, à destination des Flandres, avec 68 compagnons et associés. Après avoir traversé la Méditerranée et remonté la façade Atlantique, sous les pires auspices après la mort, avant même l'embarquement, du fils ainé de Querini, le navire, au moment d'entrer dans la Manche, est emporté par une tempête. L'effroyable histoire des marins vénitiens dans les mers froides commence. Pendant des semaines, leur bateau va se désagréger peu à peu, emporté par des vents contraires et secoué par une formidable houle. Si bien que, dans le froid de plus en plus mordant et l'obscurité croissante de l'hiver boréal, l'équipage évacuera le navire à bord de deux barques. Ce seront là d'autres semaines de terreurs et de privations, de désespoir, d'angoisse et de mort : lorsque, au début de janvier 1432, la terre est en vue, il ne reste plus que 16 personnes agonisantes dans une unique embarcation. Mais rien n'est encore terminé. L'île sur laquelle ils se trouvent est nue, déserte et inhospitalière. Un mois durant, les survivants vont se terrer dans un abri de fortune autour d'un maigre feu. Avant qu'ils ne soient saufs, cinq autre compagnons vont encore trépasser. En réalité, les tempêtes les ont jetés sur les rivages des Îles Lofoten, au nord de la Norvège ! La petite communauté de pêcheurs de l'île voisine - aux moeurs simples et affables que les naufragés crurent sorties tout droit du Paradis terrestre - les accueillera et leur permettra, le printemps venu, de retourner à Venise. Les deux récits présentés ici de ce naufrage singulier, nous viennent du capitaine du navire, Pietro Querini, pour l'un, et pour l'autre de Cristoforo Fioravante, marin, et Niccolò di Michiel, secrétaire de bord. Ces voix, multiples, se font écho, disent et redisent le froid, la terreur, la faim et la soif, puis se complètent, s'éclairent les unes les autres pour nous permettre finalement de saisir, dans leurs divergences de tons, tout le poignant de leur aventure. Dans des récits aux allures à la fois d'action de grâce et de rapports de navigation, tous parlent de leur peur abyssale devant la catastrophe imminente avec une sincérité confondante. La parole en surplomb du délicat capitaine gentilhomme, homme d'instruction plus que d'aventure, se conjugue avec celle, plus prosaïque, des marins de métier, et leurs narrations, juxtaposées, se chargent d'une épaisseur, d'une densité peu communes : l'aventure de ces Vénitiens du XVe siècle, errants comme des âmes en peines dans les mers fantômatiques du Nord, devient au bout du compte une rencontre avec la peur universelle et primitive de chacun face aux ténèbres de l'Océan. Naufragés est un livre que l'on pourrait à bon droit compter au nombre des « histoires de marins », avec ceci de particulier qu'elle prend place au Moyen Âge, qu'elle est le fait de Vénitiens échoués en plein hiver boréal à des milles de leur destination, et que de cette mésaventure a finalement éclôt une découverte culinaire : les survivants ramenèrent à Venise la morue des Lofoten, ou stock-fish, et c'est ainsi que naquit le Baccalà alla Vicentina, que la « Confraternité du Baccalà », à Vicenza, non loin de Venise, déguste et fait connaître encore aujourd'hui avec passion.