Les nouveaux profs. l'école change, eux aussi + cd audio
L'école change, eux aussi
Maryline Baumard - Collection Essais
Résumé
Les Nouveaux Profs. L'école change, eux aussi.
INTRODUCTION
Plus que jamais l'école est au cour de la société française. Au point même qu'une fiction reconstruisant le quotidien d'une classe "difficile" emporte la palme d'Or 2008 au Festival de Cannes. Entre les murs, de Laurent Cantet, veut montrer les recettes de profs ; recettes qui fonctionnent ou échouent, pour ce film ancré dans la réalité de la classe. Un film qui brouille les catégories et montre cette vie de classe avec distance et empathie. La distance de la caméra très professionnelle de Laurent Cantet, la distance d'un film adapté d'un roman. et la proximité d'un prof écrivain, François Bégaudeau, qui écrit son propre rôle et le joue dirigé par un réalisateur, lui-même fils d'un couple d'instits, qui a passé sa jeunesse entre les murs d'une cour d'école. On s'extrait de la réalité tout en y étant de plain-pied. Et le spectateur apprécie.
Il y a six ans, c'est un documentaire qui avait alors ému les foules. Avec son million d'entrées dans le monde dès 2004, Être et avoir, de Nicolas Philibert, a été un énorme succès. Hier, les spectateurs venaient voir Jojo et son maître dans la petite école de Saint-Étienne-sur-Usson, en Auvergne. Aujourd'hui, ils viennent voir une fiction réaliste se déroulant dans un collège du XXe arrondissement de Paris. Dans les deux cas, on sent bien que c'est le mystère de la classe, la magie de ce qui s'y passe ou ne s'y passe pas qui attire le spectateur. Parce que dans notre pays l'école reste centrale dans les têtes comme elle a été centrale dans la construction de la nation. Alors, on ne demande qu'à voir ou à entendre.
Les débats autour des méthodes de lecture, de la formation des maîtres, des programmes à enseigner au primaire, plus spécialement lorsqu'il s'agit de débattre de la place de l'orthographe ou de la grammaire, n'en finissent plus d'intéresser, que dis-je, de passionner les foules. Mais les débats sont souvent faussés car trop politisés. Dès qu'une voix s'élève, il faut l'attribuer à un camp. Qui parle ? un républicain ou un pédagogue ? Un affreux réac ou un progressiste ? À force de vouloir assigner le débat à résidence politique, on le sclérose. À force de le contraindre à entrer dans des cases, on le caricature. La réalité de l'école est bien autre, et nous allons tenter de la présenter en esquissant le profil de ses acteurs principaux, ceux qui la font vivre au jour le jour et surtout à travers le portrait de ceux qui dessinent l'école du troisième millénaire : les nouveaux maîtres.
Citadelles assiégées, les salles des profs hier tenues par les anciens sont en train de tomber aux mains des nouveaux. Ici et là, ils commencent même à devenir noyau central, voire majoritaires. Place donc à ces nouveaux enseignants, qui présentent un tout nouveau profil, et sont capables de changer l'école. Nous en faisons le pari.
Il y a eu les "nouveaux publics", ces vagues d'élèves qui ont successivement envahi le collège, le lycée et colonisent aujourd'hui l'enseignement supérieur, au fil d'une démocratisation successive des échelons du système scolaire. Cette fois, c'est de l'autre côté du bureau qu'a lieu le vrai changement.
Ils sont 22 000 cette année à venir de décrocher un très exigeant concours d'aptitude à l'enseignement dont le taux moyen de réussite est de 12,8 % (2006), et ils s'installent peu à peu dans une institution qui voit partir les bataillons d'anciens. Les "historiques" qui leur laissent la place ont été les artisans de ces démocratisations successives. Arrivés à l'aube des années 1970, ils ont assuré l'instruction des "nouveaux collégiens" - qui, quelques décennies plus tôt, se seraient arrêtés à la fin de la communale - et raccrochent aujourd'hui, faisant valoir leur droit à la retraite. Jamais le monde enseignant n'a connu un tel bouleversement. En nombre, d'abord, puisque selon les prévisions les plus vraisemblables, 135 000 des enseignants de la maternelle aux classes supérieures de lycée vont définitivement ranger la trousse entre 2008 et 2012, soit 15 % des effectifs. C'est-à-dire que la moyenne annuelle des départs sera de 27 000 d'ici cette date.
Dit autrement, 44 % de ceux qui étaient là en 2002 seront partis dans une décennie. Le mouvement est lancé, dessinant un nouvel équilibre. Certaines matières, comme les lettres ou l'histoire-géographie, voire quelques disciplines professionnelles, comme le génie civil ou le génie mécanique, connaissent un renouvellement encore plus fort et plus précoce, du fait d'une pyramide des âges qui leur est propre. Élu sur un programme qui vise à diminuer le nombre de fonctionnaires, Nicolas Sarkozy ne remplace plus qu'un départ sur deux ; pourtant, ce ralentissement ne change pas la donne générale, il ne fait que tempérer une évolution inéluctable. Les nouveaux enseignants sont bel et bien en train de coloniser les établissements, apportant une bouffée de fraîcheur et de jeunesse, certes, mais surtout une culture différente. Qu'ils soient titulaires d'un Capes (certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement du second degré), d'un Capet (enseignement technique), d'un Capeps (éducation physique et sportive du second degré), d'un CAPLP (lycées professionnels), d'un CRPE (concours de recrutement au professorat des écoles dans le public), d'un Cape (concours d'aptitude au professorat des écoles, pour le privé) ou d'un Cafep (concours d'aptitude au professorat de l'enseignement privé), tous arrivent dans la classe bardés de diplômes. Dès la session 2010, d'ailleurs, ils seront tous titulaires d'un master puisque le concours ne se passera plus après la licence mais l'année du master 2. Jamais ils n'auront été recrutés à un tel niveau universitaire, mais la France n'est pas une exception. Le mouvement d'élévation du niveau de recrutement est général. Partout la masterisation est pensée comme une réponse aux difficultés croissantes du métier dans le secondaire. En Europe de l'Est, c'est une évidence ; à l'Ouest, le mouvement est plus lent, mais l'Espagne vient de franchir le pas et, en Grande-Bretagne, tous sont formés en quatre années. Certains pays comme l'Autriche, l'Allemagne, l'Espagne et la Suisse continuent cependant à former les maîtres du premier degré au niveau licence.
En France les nouveaux maîtres d'école sont 67 % à se prévaloir d'un niveau licence, le niveau minimum requis aujourd'hui encore pour passer les concours de ce niveau, mais 19 % ont déjà une maîtrise et 4 % un bac plus cinq (1 % sont issus d'une grande école et ces candidats-là ont 40 % de chance de réussir le concours). Dans le second degré, c'est un candidat sur deux qui possède une maîtrise, 10 % au moins un bac + 5. Lorsqu'on regarde les résultats aux concours, 61 % des reçus sont au minimum à bac + 5. L'influence du niveau de diplôme sur la réussite au concours est nette. Le mouvement ne fait que s'amplifier puisqu'en 2001 seuls les trois quarts des jeunes inscrits en seconde année d'IUFM déclaraient détenir un diplôme de deuxième cycle universitaire, et près d'un sur dix de troisième cycle.
On est donc bien loin du recrutement précoce qui a marqué des générations de professeurs des écoles et de beaucoup de ceux qui sont entrés par la voie des pegc (professeurs d'enseignement général de collège), passés de l'école au collège. Il faut en effet attendre 1979 pour que le Deug (aujourd'hui L2) soit exigé pour les enseignants du premier degré, et 1984 pour que le total de leur parcours dans le supérieur s'allonge à quatre années, formation au métier comprise. Cette élévation du niveau ne serait pas intéressante en soi si elle n'avait de conséquences directes dans la classe et n'autorisait à enseigner différemment. Cette culture plus large autorise très tôt les profs à monter des dispositifs contre cet ennui des élèves qui les agace tellement, à se sentir armé pour oser se servir des nouvelles technologies, faire du numérique un allié plutôt qu'un ennemi. À surfer sur les mouvements pédagogiques, en quête d'un style d'enseignement bien à eux, refusant au passage les étiquettes qu'on voudrait leur coller, mais se nourrissant de tout ce qui, à leurs yeux, "peut marcher". Génération pragmatique et non plus politique.
On a pu dire ici ou là qu'ils étaient les pourfendeurs du collège unique. Idée contre laquelle nous nous élevons, pour la simple raison qu'ils sont les plus purs produits de cette école massifiée. Pourquoi remettraient-ils en cause un système qui leur a donné la chance d'arriver là où ils sont ? Qu'ils souhaitent le voir mieux adapté aux plus faibles, d'accord. Là encore, ils sont bien décidés à "faire avec", tout en se refusant à brader les exigences. Ce n'est pas chez eux que l'on trouve le plus de nostalgiques d'une école des "bons élèves", même si ce mouvement traverse aussi leur génération. Non, prôner l'exigence pour tous, ne faire aucun compromis avec les savoirs, ce n'est pas forcément synonyme d'un retour en arrière, d'un attrait pour l'école de la blouse grise ; et ils le prouvent. La société est plus exigeante que jamais en savoirs et en savoir-faire, et se battre pour que tous les élèves les acquièrent n'est pas forcément une contre-révolution. Mais de l'idéal à la classe, la route est longue, et au quotidien leur objectif est avant tout de "bien faire" ce métier qu'ils ont choisi de manière posée et réfléchie ; mais aussi de l'exercer pour leur bien à eux, leur bien-être. Pour qu'ils se sentent bien dans la classe et s'y épanouissent autant que leurs élèves. Avec ces nouveaux venus, on plonge au cour de la génération de l'épanouissement personnel dans l'exercice d'un métier. Et là encore, c'est une nouveauté ! Seraient-ils égoïstes, alors, ces enseignants qui ont envie de se construire dans leur travail ? Pas du tout. Ils veulent simplement se réaliser dans ce métier difficile pour lequel ils ont opté. Et s'ils en ont assez un jour, les murs redeviendront sable, comme le dit le poète. Ils changeront de vie et quitteront la classe pour d'autres horizons. Sans regrets, disent-ils. On leur a tellement seriné qu'ils feraient plusieurs métiers dans leur vie professionnelle, qu'ils semblent y croire mordicus.
En attendant, il reste quatre décennies aux plus fidèles à la cause pour transformer ce beau dynamisme en culture du résultat dans une école qui est en train de changer en profondeur ; de s'inscrire comme d'autres secteurs, dans un certain "libéralisme". Même si cette tendance est désagréable, elle est malheureusement inéluctable parce que l'école est aussi le reflet de la société, même s'il ne faut pas négliger le courant antilibéral qui la parcourt et sait s'opposer qui à la mise en place d'une activité simulant le fonctionnement de la Bourse (il s'agissait, en 2004, d'un jeu créé par le CIC, intitulé "les Masters de l'économie". Une vingtaine d'organisations ont alors estimé qu'il faisait l'apologie de la spéculation boursière en occultant ses conséquences sociales) ; qui à un regard du Medef, le syndicat des patrons, sur les programmes de sciences économiques enseignés aux lycéens. L'école est un lieu de résistance au cour d'une société mouvante.
Plus que dans d'autres métiers, le nouveau prof est sensible à cette culture particulière à laquelle il adhère et qu'il modifie en l'intégrant. L'étudiant qui vient de décrocher le concours n'est pas prof d'un coup de baguette magique. Une acculturation se joue en effet les premières années. Le jeune prof apprend son métier en le faisant, et cette dimension va inévitablement croître encore avec la fin des IUFM. L'entrée dans une culture professionnelle forte se fait grâce au phénomène de la salle des profs ou des maîtres. Un espace unique qu'on ne rencontre dans aucune autre profession. Un espace où se forge une identité collective, une culture d'établissement doublée d'une culture professionnelle. Reste que, paradoxalement, les folles premières années ne laissent pas le temps de penser cette métamorphose. D'emblée c'est le grand bain. La plongée dans la difficulté extrême. Comme si on donnait une dissertation de niveau supérieur à l'élève qui entre juste en seconde. Comme si on demandait à l'élève de CP de lire une page de Proust sous prétexte qu'il sait lire.
À cause d'une inégalité territoriale à corriger, les néotitulaires de l'enseignement secondaire font en effet leur tour de France des postes difficiles - alors que, dans le premier degré, ils sont affectés dans leur académie de concours. Le nombre de postes nécessaires varie tellement qu'il dessine d'un département à l'autre des pyramides des âges aux contours assez différents. Ainsi la Meuse est-elle le territoire le plus jeune avec 24 % de moins de trente ans. Elle est talonnée par la Mayenne, la Creuse et la Nièvre. Dans le secondaire, pour comprendre la physionomie générale, il suffit de savoir que 42,5 % de tous les néotitulaires de France sont affectés en premier poste dans les académies de Créteil et de Versailles. C'est là la résultante d'une impossible équation entre les postes et les candidats une fois que les enseignants chevronnés ont fait leur marché. Ainsi, sur les trois dernières années, les académies de Besançon, Bordeaux, Lyon, Strasbourg et Toulouse ont couvert 1,5 fois leurs besoins moyens en enseignants. C'est-à-dire que face à deux départs, ils alignent trois reçus aux concours ! Alors que pour Paris et Rennes, les reçus sont deux fois trop nombreux. À l'autre bout de l'échelle, à Amiens, Grenoble, Nice, ou dans les DOM, les lauréats aux concours satisfont moins de la moitié des besoins ; à Créteil et Versailles, moins d'un tiers. Ce qui explique largement ensuite la moyenne d'âge des salles des profs.
Ce système aveugle ne se contente pas d'envoyer les néophytes dans une académie éloignée de leur domicile, il les affecte en outre aux postes dont les enseignants chevronnés ne veulent pas. Si l'affaire est de longue date entendue, si les hauts cris de multiples commissions - comme celle qu'a présidée le conseiller d'État Marcel Pochard, pour ne citer que la dernière en date - n'émeuvent plus personne, il faut tout de même se pencher sur la réalité de cette injustice qui touche les jeunes certifiés. Ainsi, 40 % des titulaires nouvellement affectés en établissements difficiles sont des néotitulaires. Et ce n'est là qu'une moyenne nationale. À Créteil, 63 % des titulaires affectés en zones difficiles sont en première affectation dans cette académie où, globalement, 47 % des enseignants travaillent dans établissements difficiles.
Caractéristiques techniques
PAPIER | |
Éditeur(s) | Les Petits Matins |
Auteur(s) | Maryline Baumard |
Collection | Essais |
Parution | 08/01/2009 |
Nb. de pages | 182 |
Format | 13 x 20 |
Couverture | Broché |
Poids | 222g |
EAN13 | 9782915879438 |
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