Les émigrés de saigon

Ils sont peut-être 400 000 en France. Chaque jour, nous en coudoyons quelques-uns dans la rue, chez les commerçants, au travail, ou dans notre immeuble. Et pourtant, on ne les connaît guère. C'est que les Vietnamiens ne sont pas portés aux confidences et détestent la compassion maladroite. Leurs affaires sont leurs affaires, des affaires de famille, qu'ils prétendent régler entre eux, même et surtout lorsqu'il s'agit de l'avenir de leur pays, parfois sans se rendre compte que l'engrenage implacable de la guerre le broie un peu plus chaque jour, et détruit leur espoir d'une patrie enfin réconciliée et rendue à de meilleurs destins. Ils sont en France pour les motifs les plus divers : études, affaires, carrière, politique. Ils n'y sont pas misérables, on en trouve rarement noyés dans ce « prolétariat extérieur » qui alarme les sociologues clairvoyants. Leur intelligence, leur souplesse, leur étonnante faculté d'adaptation, les élèvent parfois à des places de choix dans la société française. Ils y honorent leurs responsabilités, avec une conscience, un sens de la dignité, qui en font les plus précieuses recrues parmi les « nouveaux Français ». Mais, à quel moment de leur vie, l'espoir - sans cesse déçu - de retrouver la patrie perdue, se change-t-il en nostalgie d'un passé révolu ? Quels sont alors leurs ambitions et leurs espoirs ? Lucien Bansard, qui nous a déjà donné cet admirable récit de l'histoire d'une famille vietnamienne de la classe la plus pauvre, « Les Sampaniers de Thuan-An », soulève délicatement le voile, dans « Les émigrés de Saïgon », sur la vie discrète des Vietnamiens qui ont choisi la France comme terre d'asile. Les épreuves, les déchirements, les rêves et les combats de ses personnages : Son, l'intellectuel, Tam, l'ouvrier, Phac, le fils de bourgeois qui a trop de chance, la princesse Van, Nguyet, la petite domestique, et bien d'autres, dont la destinée est marquée par les événements politiques majeurs de la France, du Vietnam ou des États-Unis, sont autant de clefs permettant de comprendre l'intensité du drame que vit le peuple vietnamien depuis un quart de siècle.