Résumé
Jules Renard Le mauvais livre Traduction de Dino Nessuno Illustrations de David PrudhommeIl n'est pas donné à beaucoup d'éditeurs de revendiquer l'édition d'un mauvais livre. Et pourtant, un immense écrivain français osa lui-même ce titre pour l'un de ses textes. Qu'on se rassure, dans le Renard tout est bon, surtout quand il est question de livre, de littérature et d'écrivains. Observateur du petit monde des Lettres et des auteurs, Jules Renard consigne dans ses Coquecigrues les remarques que lui inspira ce curieux métier d'écrire. Éloi, son double, grave des tablettes où la drôlerie la plus subtile épouse l'acuité la plus singulière en suivant cette règle : « Si tu es un véritable homme de lettres, agis comme moi, sans scrupules. »Un siècle plus tard, Jules Renard est toujours aussi irrésistible et les écrivains toujours aussi comiques.Jules Renard, né en 1864, mort en 1910. Auteur célébré de Poil de Carotte, Histoires naturelles (1894), d'un extraordinaire Journal posthume, homme de théâtre, de revues, de salons, chantre d'une campagne qu'il sait railler, il est considéré comme l'un des plus grands auteurs de la fin du XIXe siècle.« Il regarde la nature comme un muet regarde un bavard : avec surprise et jalousie. Il y a quelque chose de "méchant", de frénétique, dans les livres de Renard. C'est la méchanceté, la furie de quelqu'un qui voudrait enchanter le monde et ne parvient qu'à l'interpréter, à fleur d'une peau tannée (...) Renard, c'est peut-être ce qu'il y a de plus rare en littérature, et ailleurs : le talent. »Georges PerrosPresse ¿ Article paru dans Le Matricule des Anges, Mars 2005 À l'arme blancheIl fut un temps où le style était stylet : rapide, aiguisé, tranchant, il perçait ou entaillait. De Barbey d'Aurevilly à Léautaud, certains rajeunirent ainsi, dans des formes diverses (journal intime, notes, aphorismes), avec une acuité parfois âpre, l'exploration moraliste du XVIIe siècle. Renard s'y exerce ici, à travers saynètes dialoguées, portraits et maximes. D'abord publiés dans divers journaux et revues, réunis ensuite sous le titre rabelaisien de "coquecigrues" (en écho à l'amère ciguë), ces textes sont repris ici en un ouvrage extrêmement soigné par les éditions ¿ ô combien adequat ! ¿ de l'Arbre Vengeur. Nous y suivons Éloi (double ou caricature de l'auteur) en des avatars successifs : "homme de plume" en ces étouffants salons que décrit si bien le Paludes de Gide, "homme du monde" démasquant sa propre hypocrisie, "homme des champs" enfin, plus proche d'Alceste s'exilant au "désert" que de quelque écologiste moderne. Voilà ce que raconte Renard ¿ mais l'essentiel n'est pas là, et seule la citation (et c'est tout le livre qu'il faudrait recopier, entre la fascination et le fou rire) peut donner à goûter l'inimitable ton : alors que le romancier psychologue achète les "accessoires" ¿ encore en usage aujourd'hui ¿ qui lui seront nécessaires (ainsi "une chaude couverture dont il enveloppera, pour le préserver du froid, son beau talent d'une sensibilité suraiguë"), l'apprenti symboliste "veut, infatigable, toujours aller à l'obscur, vers du plus obscur encore" et la naturaliste débutant, lui, "étudie l'urine et compte les jets de salive en disant : ¿ Tout mon bonhomme est là. Je le tiens." Mais faisons silence, car Renard apostrophe également le lecteur : "Qui vous demande votre avis ? Prenez donc l'habitude d'attendre qu'on vous interroge."Thierry Cecille