Résumé
Au mitan du XVIIIe siècle, la Lorraine, province qui n'est pas encore tout à fait française et « pays d'entre deux » à l'intersection des marchés français et étrangers, est dite « province d'étranger effectif » ; un statut douanier ô combien favorable qui est à l'origine d'un vaste et fructueux commerce de transit et d'entrepôt qui fait alors la fortune de quelques grands marchands ayant pignon sur rue à Nancy, Lunéville, Pont-à-Mousson, Épinal mais aussi à Saint-Dié, une modeste cité vosgienne sise aux marges du royaume où s'est établi en 1728 Claude Gaillot (1699-1765), marchand-magasinier, un de ces marchands en gros comme en comptent par dizaine les duchés qui déploient, entre la France et l'espace helvético-germanique, un commerce d'envergure. Étudier les activités de Gaillot, c'est déjà s'intéresser à la matérialité des échanges, c'est-à-dire à la nature des produits échangés, à la ventilation géographique des achats et des ventes, aux techniques commerciales déployées et au jeu des paiements effectués entre places étrangères, mais c'est aussi mettre à jour la configuration des relations d'affaires entre Gaillot, ses fournisseurs, ses clients et ses associés. Donc une trajectoire individuelle mais inscrite dans des espaces relationnels tissés localement par Gaillot à Saint-Dié et dans la contrée mais aussi, jouant des échelles d'observation, sur les places étrangères - Bâle, Francfort, Leipzig - fréquentées au fil de l'année ; une étude de cas mais articulée à l'examen des circulations globales qui transcendent les frontières des États. C'est enfin s'interroger sur les raisons de sa retentissante faillite survenue en 1763, à l'issue de la guerre de Sept Ans (1756-1753). Faillite, certes, dommageable pour Gaillot mais providentielle pour l'auteure de ces lignes puisque la source principale utilisée ici est ce dossier de faillite déposé au greffe de la juridiction consulaire de Lorraine et Barrois, en 1763. Un dossier riche d'informations sur le failli, son entreprise et ses relations commerciales et qui a le mérite d'avoir préservé ses papiers privés qui, autrement, n'auraient guère eu la chance de parvenir jusqu'à nous.