Résumé
Ce livre, trop bref, interrompu par la mort, a la grandeur, l'équilibre, la force de conviction qui ont placé Trifonov à la tête de la littérature des villes. Ce que nous livre l'auteur recouvre la période la plus cruelle du stalinisme, de 1937 à 1942, mais non sous la forme documentaire dont nous avons déjà maints exemples. Ici, nous avons affaire à la naïveté et aux chagrins muets d'un garçon qui prend contact avec le monde dans l'ambiance du secret, du sous-entendu, qui est devenu à ce point une seconde nature que toute banalité en est exclue. Voire. Ce que l'écrivain n'exprime pas par la voie directe se dégage à travers les images, les situations, les symboles habilement voilés. La scène la plus symbolique est celle où, gamin de douze ans, le jeune héros entreprend, avec deux camarades et à l'insu des parents, l'exploration d'une immense caverne qui ouvre sur une deuxième caverne qui ouvre sur une troisième
caverne, etc. Il n'est pas peureux, il s'enfonce, glisse, surmonte les obstacles. On peut admettre que ce défilé souterrain est la préfiguration de sa vie, enfermée dans un système où la prudence et le courage échangent constamment leur rôle, se tiennent par la main. Plus que cela, l'aventure de la vie et son récit se terminent par un constat dramatique non seulement pour l'enfant, mais pour son peuple :
MAINTENANT, ON A FINI DE JOUER. Maintenant, Trifonov a fini d'écrire, emporté prématurément par la maladie, nous laissant le regret de ne plus découvrir sous sa plume ces hommes en quête d'eux-mêmes, ces vieillards qu'il traite toujours avec une sorte de lyrisme de la vieillesse superbe. Comme eux, les maisons qui vivent, puis disparaissent lorsque l'homme qui les a portées dans son coeur disparaît à son tour... À moins qu'il ne laisse derrière lui un livre qui en prolonge mieux que le souvenir : la vie.