L'histoire du chien jaune de Mongolie

Depuis quelques jours, le bleu du ciel a envahi l'immensité de la steppe, et quelque chose de plus doux dans l'air annonce l'été. Un camion jaune serpente sur la piste et arrive enfin au campement.

Nansaa, le cœur battant, en descend, elle retrouve enfin le vent sauvage et l'odeur âcre des herbes. C'est ici chez elle !

" Nansaa ! s'écrie sa mère en la voyant, comme tu as grandi ! Comme tu es jolie dans ta robe d'écolière ! "


Mais Nansaa trouve que son uniforme de pensionnat la serre. Et le col de son chemisier l'étouffe ! Elle préfère enfiler sa tunique. Et surtout ses petites bottes, au bout recourbé pour ne pas blesser la terre en marchant.

" Nansaa ! interpelle son père, montre-nous tes cahiers. "

Il est si fier d'avoir une fille qui étudie. Les mots dessinés sur les pages de ses cahiers le rendent heureux.

" Je connais plein de chansons et de poèmes, maintenant ! claironne Nansaa.

– Tu me les apprendras ? " lui demande aussitôt sa petite sœur.


Oui, Nansaa lui apprendra. " Au reflet de la Lune, telle une tasse d'argent, mon cheval indompté a bu à grands traits. "

Et en secret, elle lui chantera : " Sur mon cheval aubère aux oreilles en pointe, je franchirai le Gobi du pays khalkha avec toi, mon cher amour... "


Dès qu'elles le peuvent, les deux sœurs montent dans les collines. Arrivées là-haut toutes essoufflées, elles s'allongent dans l'herbe pour rêver. Puis s'amusent à chercher dans les nuages les petits chevaux sauvages que le vent fait galoper.


Nansaa aimerait rester ici toute sa vie, près du vieux volcan de Chorgo. Elle garderait les yacks, les ferait boire à la rivière et s'occuperait des agneaux au printemps. Dans le petit matin brumeux, elle partirait sur son cheval, pour voir le soleil pâle se lever derrière la montagne. Et le soir, assise sur les tapis de laine, elle dessinerait les paysages qu'elle aime.


De loin, la jeune fille entend la voix de sa mère :

" Aide-moi donc un peu, Nansaa ! Va ramasser des bouses de yacks pour le feu de la cuisine. Sinon rien ne sera cuit pour le dîner ! "

Nansaa prend alors son panier et une petite pique en osier.

" Et ne t'éloigne pas trop " lui crie sa mère.

Nansaa ne l'écoute déjà plus : elle tourbillonne dans le vent. Elle est heureuse dans ces grandes plaines qui l'ont vue naître.


Quand elle arrive au pied de la montagne, la yourte de ses parents n'est plus qu'un petit point blancDans une petite cavité, un cri attire son attention... Elle s'approche doucement, intriguée...

Deux petits yeux brillent dans l'obscurité comme deux lampions de fête. Un petit chien jaune au museau foncé lui sourit, étonné.

" Viens, dit Nansaa ; allez viens, dit-elle doucement pour ne pas l'effrayer. "

Timidement il sort de sa cachette, s'approche, et bizarrement semble la reconnaître...

" D'où viens-tu, petit chien ? Veux-tu être mon chien ? Tu es à moi maintenant et je t'appellerai Tatoué ! "


Nansaa est si heureuse, rien ne pourra contrarier cette nouvelle amitié.

Quand elle rentre au campement, tous se réjouissent de l'arrivée du chien. Tous, sauf son père. Cet animal est sans doute un chien errant, vivant parmi les loups et habitué à attaquer les troupeaux. Il peut porter malheur. Il le chasse alors sans la moindre tendresse.


Le cœur serré, Nansaa regarde Tatoué.

" C'est mon chien ! C'est moi qui l'ai trouvé ! " proteste-t-elle.


La nuit venue, elle le cachera dans l'enclos des moutons et des chèvres. Et demain, quand son père ira vendre les peaux des bêtes en ville, elle s'amusera avec lui dans les hautes herbes.


Au petit jour, elle entend la moto de son père qui s'éloigne dans la steppe. Vite, elle se lève, inquiète : et si son chien n'était plus là ?


Mais Tatoué dort encore, attaché au bout de sa corde, dans l'enclos. Ce matin, elle doit conduire le troupeau de chèvres vers les bons pâturages. Et qui mieux qu'un petit chien pourrait l'accompagner !


Nansaa trotte et galope sur son cheval. Elle se souvient de toutes les chansons que les cavaliers chantonnaient en parcourant la steppe, sous le soleil brûlant. La terre est légère comme les fleurs ; le temps semble s'arrêter, comme le ciel.


Tatoué la suit, tout content. Son petit chien est incroyable, il semble rire à chacune de ses pensées ! Brusquement le vent se lève, le ciel s'assombrit. Le cheval et le chien ont vu monter le vent du diable. Les couleurs s'affollent et la montagne mongole a maintenant tiré son manteau de pluie. L'orage arrive.


Il faut se mettre à l'abri, au plus vite. Mais où ? Tatoué, aussitôt, lui montre le chemin, sans hésiter. Il l'emmène vers une yourte isolée, au pied de la colline.


En arrivant, Nansaa aperçoit une vieille femme en train de prier. Elle lance au ciel ce qu'il faut de lait pour apaiser les esprits. Nansaa n'est pas très rassurée, mais elle accepte l'invitation de la vieille chamane à entrer dans la douceur de la yourte.


" D'où vient ce chien ? lui demande la vieille femme.

– Je ne sais pas ! avoue Nansaa.

– C'est peut-être le chien jaune, alors. Il y a très longtemps, sur cette steppe, vivait une famille très riche. Un jour, leur fille unique tomba malade. Son père alla trouver le chaman, qui lui ordonna aussitôt de se débarrasser de son chien jaune, pour que sa fille guérisse.

" Mon chien jaune ? Mais pourquoi se séparer d'un si bon chien qui garde mes troupeaux ? "

Comme il aimait trop son chien pour le tuer, il le cacha dans la montagne. Et tous les jours, en secret, il partait le nourrir. Étrangement, depuis que le chien jaune n'était plus là, sa fille allait mieux et elle finit par guérir.

– Alors elle a guéri grâce au chien jaune ? l'interrompt Nansaa.

– D'une certaine façon oui, répond la vieille femme en hochant la tête. Les signes des dieux sont parfois bien étranges... "


Sur le chemin du retour, Nansaa promet de ne jamais abandonner son petit chien jaune. Qui sait, il lui portera peut-être bonheur !

Quand elle rejoint enfin la yourte, son père l'attend.

" Nansaa, je t'ai dit que je ne voulais pas d'un chien errant. Tu dois t'en débarrasser, car demain on lève le campement !

Les yeux de Nansaa se brouillent, comme l'eau du lac près du vieux volcan.


Les premières pluies ont chassé les fleurs. L'été est fini, bientôt le froid glacial de l'automne sera là. Il est temps d'aller plus bas dans la steppe.


Les parents de Nansaa démontent la yourte. La famille entière s'attèle à la tâche.


Nansaa roule les tapis, en cherchant comment emmener Tatoué avec elle. On enferme dans les coffres les lourdes couvertures brodées et les vêtements. Son petit frère court en riant, excité par l'animation du départ.


Bientôt les yacks seront prêts pour tirer les lourdes charrettes avec leur chargement. Tatoué, attaché à son piquet, a bien compris ce qui se passait. Il aboie et tire sur sa corde pour rejoindre Nansaa, déjà installée à l'arrière de la charrette avec sa sœur et son petit frère. Leur mère remercie les esprits de la terre en versant du lait à l'emplacement de la yourte.


Le père de Nansaa a donné le signal. La charrette s'éloigne au pas lent des yacks. Nansaa aperçoit encore le petit chien qu'elle aime. Soudain, elle saute en marche et court l'embrasser une dernière fois. En la voyant s'éloigner, son petit frère s'échappe, lui aussi, de son panier. Personne ne s'en aperçoit.


Quand elle retrouve la caravane, essoufflée, Nansaa a tellement de peine qu'elle préfère être seule. Elle grimpe dans une autre charrette en pleurant. Son père, à l'avant, encourage les yacks et sa mère trotte sur son petit cheval.


Du campement d'été au pied du volcan de Chorgo, il ne reste plus rien. Que l'herbe piétinée et jaunie et un chien attaché à son piquet qui hurle à la mort. Toute la famille est partie. Mais un petit garçon, au milieu de la lande, regarde les grands oiseaux lugubres et sombres. C'est le frère de Nansaa !


Le petit chien, attaché à sa corde, sent le danger. Ses yeux affolés cherchent en tous sens à prévenir quelqu'un. Les vautours ont vite repéré leur proie.


Déjà certains volent en cercle au-dessus de l'enfant, bec en avant et serres grandes ouvertes. Et leur ronde inquiétante le terrorise. Tatoué tire sur sa corde, tire, tire. Elle l'étrangle, il suffoque quand, enfin, le piquet cède !


Le chien se rue sur les rapaces en aboyant. Les vautours se dispersent et leurs cris aigus résonnent dans la steppe.


Pendant ce temps, la caravane avance. Quand Nansaa s'aperçoit que son frère a disparu, elle alerte aussitôt ses parents. Son père saute sur son cheval. Il galope, galope... Il a peur d'arriver trop tard. Il pense aux loups... Et galope de plus belle dans la steppe éclairée par la lumière dorée du soleil couchant.


Son cœur se serre, il a mal. Quand il arrive enfin, il n'ose regarder ce qu'il redoute de découvrir. Mais il entend des pleurs et aperçoit, près de la rivière, son fils assis, dans les hautes herbes. Le petit chien de Nansaa est couché à ses pieds.


" Mon fils ! crie-t-il en le serrant dans ses bras. Bon chien ! Tu lui as sauvé la vie. "


C'est ainsi que Nansaa retrouva Tatoué, son petit chien jaune des contes de Mongolie... Celui qui porta bonheur, autrefois et encore aujourd'hui.

La nuit peut venir avec ses loups et le vent sauvage de l'hiver. La yourte désormais sera bien gardée.