Paul Evdokimov nous livre aujourd'hui une somme sur la beauté. Dans la beauté
plutôt, cette beauté divino-humaine « qui sauvera le monde », comme le prédisait
Dostoïevsky.
Pour mener à bien, « à beau », cette entreprise sans tomber ni dans
l'esthétisme
ni dans une réduction intellectuelle du mystère, il fallait sans doute ce
grand théologien orthodoxe, au sens d'une théologie qui « chante gloire » dans la
communion
des transfigurés (l'on sait que Paul Evdokimov nous a donné, ces dernières
années, d'importantes études sur la spiritualité et la liturgie de l'Orient chrétien).
L'esprit
de l'Orthodoxie, dans sa plus profonde continuité, est un esprit philocalique.
On appelle philocalies - « amour de la beauté » - ces recueils de théologie mystique
(et toute véritable théologie est mystique) qui jalonnent l'histoire de l'Orient chrétien
pour aider l'homme à participer, avec son intelligence et son coeur réunifiés, à la gloire
même de Dieu. Or la démarche de Paul Evdokimov est « philocalique ». C'est celle
d'une pensée nourrie des Pères grecs, pour qui la beauté est un Nom divin, cette vie
lumineuse où le monde et l'homme trouvent leur origine et leur fin, et qui se voile et se
dévoile à la fois sur la « croix de lumière ». Pensée nourrie aussi de l'expérience russe
de la liturgie comme « art des arts » et pressentiment du Royaume, car on entend
résonner dans ce livre l'émerveillement décisif des messagers russes venus à Constantinople,
dans l'église de la Sagesse divine, en quête de la vraie foi : « Nulle part il ne
peut y avoir pareille
beauté. » Pensée qui met à nu, à travers Dostoïevsky et Berdiaeff,
mais aussi Jung et Heidegger, le vide et l'enfer qui s'ouvrent dans l'âme contemporaine
- et c'est le lieu providentiel où faire éclater la lumière de la Résurrection, c'est-à-dire
du Saint-Esprit : « Tout est rempli de lumière, le ciel, la terre et l'enfer » chante dans
la nuit de Pâques l'Orient chrétien. Au-delà de cette mort de toutes les valeurs, philosophiques,
morales, esthétiques, que l'Occident traverse aujourd'hui comme une nuit,
Paul Evdokimov voit prophétiquement surgir le mystère irréductible de la personne
(au sens théologique, proprement ineffable, de l'hypostase), le visage crucifié et transfiguré
- l'icône, autour de laquelle le monde se révèle « buisson ardent ».
Le livre, qui part de la vision biblique et patristique de la beauté pour décrypter, à sa
lumière, les recherches contemporaines de l'art, culmine à la théologie de l'icône où la
personne devient comme le sacrement d'une Lumière où déjà l'histoire se consomme
dans l'éternité. Il s'achève sur le bouquet paradisiaque de dix icônes fidèlement
reproduites
et dont le commentaire, qui part du chef-d'oeuvre de Roublev pour aboutir
à l'Ange-Sagesse de Novgorod, nous mène du mystère de la Trinité, source de l'amour
sacrificiel, à celui de la Sagesse qui fait de la Trinité le lieu de notre existence renouvelée
et devient en nous connaissance intégrale où le coeur s'embrase dans la beauté.