Résumé
Lui, il était différent et ne leur ressemblait aucunement. Oh, comme sa voix était ensorcelante, chaude et captivante ! Et quand il était sur les nerfs, elle n'en était qu'éclatante ! Elle vous fouettait par moments, mais sans trop vous faire mal, cependant ; elle vous prenait en vous transportant poings et pieds liés sur de beaux nuages. Mounia se découvrit un côté masochiste dont elle ne se connaissait pas auparavant. Elle se disait aussi qu'il était spontané sans calculs bas ni arrières-pensées. Quand il s'exprimait, on sentait que cet homme était loin d'être anodin. La désinvolture des gestes, pourtant précis, témoignait à elle seule de sa personnalité affirmée. Les convenances n'étaient pour lui que des alibis. Lorsqu'il parlait, l'ouïe prenait un réel plaisir aux sonorités de sa voix. Il était affable, sage et gentil tout à la fois. Quelques bribes de leur conversation s'imposaient encore à son esprit ; elle les écoutait résonner dans sa magnéto qui s'attardait quelque peu sur les morceaux qui lui paraissaient les joyaux d'une merveilleuse mélodie : « il n'y aura aucune suite, madame », et « je ne veux pas vous sentir obligée... » Et aussi « votre compagnie m'est agréable... » Et surtout « parole d'officier ! » Parole d'officier ! Parole d'officier ! Comme c'était joliment dit ! C'était beau ! Elle se surprit à répéter « parole d'officier ! »En bref, tous les ingrédients nécessaires étaient réunis. Le chaudron était prêt lui aussi. Il ne manquait que le briquet pour mettre le feu et porter tout à ébullition. Un sourire émailla ses lèvres quand elle se souvint qu'elle avait ralenti l'allure juste à la sortie de l'hôpital ; c'était uniquement dans le dessein de s'attarder encore dans les parages. Si Samia n'avait été là, elle aurait peut-être eu le culot de rester encore avec lui. Elle regrettait de l'avoir quitté aussi vite. En sortant de l'établissement, Mounia n'était plus la même ; elle avait l'impression d'avoir laissé quelque chose, d'avoir oublié quelque objet précieux entre les murs froids et épais d'une chambre d'un certain intérêt.Elle ne pouvait empêcher son esprit de revisiter l'endroit en repassant les coins et recoins tout en s'attardant au gré de ses errements sur les choses ayant acquis une importance. Elle était consciente qu'une partie d'elle-même était restée malgré elle dans l'enceinte de cet hôpital qui revêt soudain une dimension toute particulière. Elle sentait une vilaine chose prendre doucement possession de son âme où l'angoisse poussait ses premiers vagissements. C'était comme si, négligeant son droit de mère, on lui avait ôté la garde de son enfant unique et de surcroît malade grabataire. C'est sur cette impression-là que Mounia s'était engagée à contrecœur sur le chemin du retour. La présence de Samia l'avait empêchée de traînasser dans les alentours immédiats de l'hôpital ; elle ne s'en éloignait en vérité que physiquement, car ses pensées, charmées par une idée plus que jolie, tressaient dans son esprit des aquarelles aussi douces que belles.Durant toute leur conversation, elle n'avait rien laissé transparaître sauf ce malencontreux mouvement, quand elle vint à croiser les jambes. Elle se surprit à sourire en revoyant le petit geste. Au fait, qu'avait-il pu voir ? Cette question l'amusa quelque peu. Elle essaya de lui trouver une réponse en souhaitant par coquetterie féminine qu'il pût remarquer quelque chose : elle pensait à sa culotte blanche. Elle eut un deuxième sourire, car elle se rappela l'air curieux et intéressé de Mourad. Intéressé ? Se pourrait-il qu'il ne l'ait pas entraperçue ? Alors, qu'avait-il vu au juste ? Le haut ? L'intérieur de ses cuisses ? Elle releva les jambes sans faire attention pour s'assurer de leur beauté. Satisfaite, elle les laissa retomber avec une formidable expression d'aise et de contentement.