Né en 1928 à Djerba, Béchir Ben Yahmed aurait dû être épicier, comme son père.
Il a été un acteur majeur de l'indépendance tunisienne, le confident et le bras droit de Habib Bourguiba, son jeune ministre de l'Information (à 28 ans). Il aurait pu ne faire que de la politique, et viser haut.
Non, il sera éditeur de presse et journaliste.
Béchir Ben Yahmed, « BBY » pour reprendre les initiales devenues célèbres, c'est avant tout l'homme d'une intuition improbable et révolutionnaire, le fondateur et le patron de Jeune Afrique : un « hebdo » pour tout un continent à peine sorti des nuits coloniales. BBY, c'est plus de soixante ans d'écriture et de luttes. Avec Jeune Afrique, puis, à partir de 2003, La Revue. Il sera un Africain convaincu, un militant de l'émancipation des « Sud », un observateur lucide de la vie internationale. Et l'auteur, chaque semaine, de cet édito, le fameux « Ce que je crois », où il ne craint pas de prévoir, souvent avec justesse, d'être tranchant, à contre-courant. D'assumer.
Ces Mémoires écrits sans fausse diplomatie se révèlent un témoignage rare qui échappe au « récit dominant ». BBY fait revivre le soleil des indépendances, les espoirs et les désillusions de l'Afrique moderne, l'évolution complexe de la Tunisie, les guerres d'Orient, les convulsions du monde. Surgissent les portraits de Bourguiba, Lumumba, Che Guevara, Hô Chi Minh, Boumédiène, Senghor, Houphouët-Boigny, Foccart, Mitterrand, Bongo Ondimba, Hassan II, Alassane Ouattara, et tant d'autres.
On y retrouve aussi ses propres combats, dignes d'un roman, l'autoportrait d'un professionnel exigeant qui aura influencé plusieurs générations de lecteurs. Et une réflexion émouvante sur l'identité, la spiritualité et la fin du chemin.
Béchir Ben Yahmed nous a quittés le 3 mai 2021, journée mondiale de la liberté de la presse. Il avait 93 ans. Presque un siècle.