Résumé
Dans le « théâtre » de Georges Bataille, le rideau se lève sur une scène peu éclairée, livrée aux expériences-limites de la pensée, des voix, du corps, des affects et attracts premiers (désir, joie, effroi...) Le théâtre se joue de ses contradictions internes, revendiquant même jusqu'à la dissolution des corps, du langage.
Cet essai propose de confronter les approches batailliennes de la souveraineté et de l'extase à d'autres traditions philosophiques et mystiques. À ce jeu d'ombres et d'indices luminescents participent Maître Eckhart, N. de Cues, G. W. F. Hegel, E. Husserl, saint Anselme de Cantorbery, F. Nietzsche, F. von Baader, P. Klossowski, S. Freud, le bouddhisme tibétain et le zen.
Là où le néant et la dissolution semblent l'emporter, une « philosophie de la lumière » se dégage et s'exprime. Le « style » d'une philosophie de la lumière privilégie une logique des analogies et des correspondances qui permettra peut-être de tisser un langage neuf, linguistique et figural, transgressant les dialectiques bien construites.
Georges Bataille, tout en renforçant la contestation de toute « servitude dogmatique », prône un renouvellement de plusieurs voies poétiques et spirituelles en quête de l'ineffable.
Sommaire
Première partie : La souveraineté
I. L'expérience souveraine.
Expérience et souveraineté se définissent l'une par l'autre. Le concept d'expérience souveraine est une définition négative de l'expérience, et de la souveraineté.
II. Souveraineté du désir.
D'un désir qui tend à se priver d'objet : condition d'une souveraineté du langage et d'une souveraineté du sujet comme anéantissement de soi. Le désir se prenant lui- même pour objet signifie l'auto-engendrement de l'oeuvre, et de soi, désormais « être de fiction ». Le désir comme don et plénitude.
Intériorité du désir. Le désir condition de désubjectivation dans la fusion identificatoire avec l'objet. « Toute identification se double d'une réévaluation ». Le désir comme feu, signe à la fois index et opérateur. L'affadissement du « non-désir » est-il, à la fin, retour à l'angoisse et à l'insatisfaction, ou une saturation du désir ?
III. Puissance et souveraineté.
Que l'on parle d'expérience souveraine ou de souveraineté comme expérience (ou comme ce à quoi elle conduit), la part inassignable, négative, de ces énoncés est vue comme manque et puissance du concept, et comme instance de la phénoménalité. Le caractère « solaire » de la souveraineté (dans l'homme souverain, l'expérience, la pensée) définit une rythmicité de l'être : l'innocence de la perte (centrifuge) consumant toute réserve, et la permanence coercitive (centripète) d'un corps. Une alliance de mouvements contraires dans la spatialité et le temps de l'instant décliné en durée énonce un dispositif perceptif spéculaire et auditif.
Rôle de la négation : liberté et nécessité de la « souveraineté de l'homme ». Et, en tant qu'opération : démembrement symbolique (pour la pensée) et perte de la totalité (pour la conscience). Reprise par la volonté (d'être tout) et de composition – sens régulateur de la souveraineté. Mais l'inachèvement, force de dérision , comme retour de la phénoménalité. Accomplissement de la négation dans l'oubli.
Distinction de la souveraineté et de la maîtrise. Fondements historiques des formes de la souveraineté ; passage d'une division diachronique à une partition synchronique maître-esclave, profane-sacré, et souveraineté conjuguant sacré et pouvoir. Onction, gloire, puissance, souillure... marques d'une souveraineté manifeste et masques d'une souveraineté profonde. La souveraineté opposée à la maîtrise est une « autorité silencieuse », un geste muet, un mouvement infini qui ne s'accomplit pas, une puissance infinie qui n'agit pas.
Une morphologie de la souveraineté comme expérience : le point de la décision (le miracle) interrompt l'autorité (l'onction) ; l'instant rayonne : l'autorité de la décision se propage, ébranle (et oublie) l'autorité même, et dure.
IV. Fragment et totalité.
Valeur et autorité souveraine de la monnaie. Force d'expression et force de créance ; concentration d'autorité et de valeur dans une unité brisée, l'unité du symbole. Critique du symbole comme fiducia. Du symbole à l'»expérience symbolique ». Souffrance et symbole ; le symptôme comme temporalisation du symbole. Principes d'une économie symbolique.
L'ipse ; unicité et identité instables du moi. « L'homme entier », l'ipse « se voulant tout ». Expiation et acéphalité dans la perte de la totalisation ipséelle.
Deuxième partie : L'extase
I. Mouvements d'extase.
Élans vers l'inconnu, l'impossible, en lesquels on reconnaîtra les mouvements du don, et de la transgression. La transgression comme communication entre différents ordres du possible et de la réalité.
II. Économie des affects.
Le je était identité intégrative des qualités d'affects, il devient pour Bataille un « état », la culmination de qualités fluentes, d'affects hétérogènes entre eux. Klossowski et la « sémiologie des affects » de Nietzsche.
Glissements, lenteur, vitesse... déterminations d'affects et ainsi de pensées.
III. États mystiques.
Littéralité de la méthode. La référence au texte mystique contribue à définir un cadre perceptif de l'expérience. Rythmicité du centripète et du centrifuge, où le point, le vide, l'étendue sont les polarités d'une morphologie dynamique de l'expérience.
Conversion du regard.
IV. Expérience et langage.
L'effet de conceptualité. Caractère ambivalent du concept comme unité de sens instable. Définition de la méthode comme « contestation », c'est à dire une dialectique dynamique « du concept et de l'extase », et qui condamne le concept à être dissous. L'activité fondatrice du concept servant une « fonction symbolique » et « constructiviste » de la pensée est une « position décisive » qui sera « contestée » dans un retour – un reflux – de la phénoménalité et une instance d'indétermination ouverte du concept relevant encore d'une figurativité de l'expérience. L'opération souveraine ; concept et extase. Le moment d'indétermination du concept ; la métaphoricité ; la contamination forte dans la prédicativité ; et le « modèle perceptuel » de l'expérience et de la pensée (le « concept phénoménal »). Le langage : traduction et induction d'expérience.
L'image de l'expérience. L'inadéquation, l'inachèvement, l'infini, dans un dispositif spéculaire de l'expérience. La profondeur comme fonction de dramatisation des surfaces. «Valeurs décisives des choses»: formes, aspects, figurativité de mouvements, de l'hétérologie en acte.
Le geste d'intelligibilité. L'identification comme mode d'identité instable et totale (« symbolique ») du sujet et de l'objet. L'identification comme acte de connaissance, par intuition et empathie. Le noyau fictif de l'expérience souveraine : la création d'un corps. Un modèle énergétique, la nécessité d'échapper à une contrainte de signification, exprime ce qui souterrainement alimente l'expérience et l'intelligibilité de l'expérience, et ce qui, en dernier lieu, symbolise le retour de la phénoménalité fluente, et de l'indifférencié.
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