Breftraite de la colere

La colère est devenue immontrable, impensable, impossible. Immontrable. La colère n'est pas montrée à la télévision, au contraire de la violence, de la tuerie, de la guerre, de la concussion, de l'obsession sexuelle, etc... Et si au hasard d'un téléfilm, un personnage pique une colère, l'autre l'envoie chez un psy ou consulte son avocat. Impensable. On a très peu écrit sur la colère. Par peur ? Parce que "les pouvoirs" ont changé de nature ? Parce qu'elle est mal vue ? Parce que l'on se met en colère par procuration ? Désormais les "usagers" ne sont plus en "colère" en cas de grève des transports publics. Ils soutiennent les mouvements sociaux sans râler (hiver 1995, par exemple). Les colères sociales n'atteignent les médias que si, comme à Givet, les ouvriers menacent de faire sauter l'usine. Impossible. Désormais dans l'entreprise, aucune colère possible du bas vers le haut. D'où l'apparition du harcèlement moral. Dans la vie publique, la polémique disparaît au profit du consensus ou de la "petite phrase". Et l'Etat qui "ne peut pas tout faire" (Lionel Jospin après le licenciement des 3500 Michelin), abandonne ce qui lui reste de pouvoir en renvoyant la balle à l'économique. Dans la recherche forcenée du "n'importe quoi correct", la colère est devenue "passionnément incorrecte". Pourtant. Des sept péchés capitaux, la colère est le seul dont le Dieu des Juifs, des Chrétiens et des Musulmans se soit doté. On dit une "sainte colère" ou une "juste colère". Aucun autre péché n'a droit à ces qualificatifs. Or aujourd'hui la colère se masque. Elle prend les maques du sarcasme et de la dérision. Pourtant la colère a du talent. La colère fut une inspiration littéraire sans pareille. Quelle peut-être l'ultime colère ? Quand la colère est interdite dans un monde terne au consensus mou, que reste-il à l'homme libre ?