Bordeaux d'hier et d'aujourd'hui
Ernest Laroche - Collection Littératures
Résumé
Bien souvent Bordeaux — ce m’est une joie de le constater — a su fixer l’attention des voyageurs illustres ou simplement connus. Beaucoup, parmi ceux-ci, lui ont consacré des lignes flatteuses.
Mais avant ces admirateurs de passage, qu’il me soit permis de citer le tableau plein de lignes majestueuses que le poète Ausone, dès le IVe siècle, a tracé de sa ville natale :
“Bordeaux est le lieu qui m’a vu naître, Bordeaux où le ciel est clément, où la terre fécondée par l’humidité prodigue ses largesses, où sont les longs printemps, les rapides hivers et les coteaux chargés de feuillage. Son fleuve qui bouillonne, imite le reflux des mers. L’enceinte carrée de ses murailles élève si haut ses tours altières, que leurs sommets aériens percent les nues. On admire au-dedans les rues qui se croisent, les maisons bien alignées, et la largeur des places ; puis les portes qui répondent en ligne directe aux carrefours, et au milieu de la ville, le lit d’un fleuve alimenté par des fontaines. Lorsque le père Océan l’emplit de son reflux, on voit la mer tout entière s’avancer avec ses flottes. ”
À part les hautes murailles, dont il ne reste aucun vestige... et aussi le passage relatif à la température, — les “longs printemps ” rendent rêveurs ! — on pourrait croire ce tableau signé d’hier.
Après ces lignes d’Ausone, je ne citerai que deux éloges imprimés en l’honneur de notre ville, cela parce qu’ils sont traités d’une façon pittoresque et qu’ils procèdent de sentiments différents. L’un est signé Chapelle et Bachaumont et date du XVIIe siècle ; l’autre date de 1840 et a été peint par Théophile Gautier :
Dans leurs Voyages amusants, Chapelle et Bachaumont parlent en effet de Bordeaux et de sa foire qu’ils eurent la bonne fortune de trouver ouverte durant le séjour qu’ils firent chez l’intendant Tallemant. Ils expriment d’abord leur admiration à l’aspect des nombreux navires qui se balancent dans le port.
“La Garonne est effectivement si large, écrivent-ils, depuis qu’au Bec d’Ambès elle est jointe avec la Dordogne, qu’elle ressemble tout à fait à la mer, et ses marées montent avec tant d’impétuosité, qu’en moins de quatre heures nous fîmes le trajet ordinaire.
“Et vîmes au milieu des eaux,
Devant nous paraître Bordeaux,
Dont le port en croissant resserre
Plus de barques et de vaisseaux
Qu’aucun autre lieu de la terre.”
Sans mentir, la rivière était alors si couverte, que notre felouque eut bien de la peine à trouver une place pour aborder. La foire qui devait se tenir dans peu de jours avait attiré cette grande quantité de navires et de marchands quasi de toutes les nations pour charger des vins de ce pays.
“Car ce fameux et rude port,
En cette saison a la gloire
De donner tous les ans à boire
À presque tous les gens du Nord.”
Ces messieurs emportent tous les ans de là une effroyable quantité de vins ; mais ils n’emportent pas les meilleurs. On les traite d’Allemands, et nous apprîmes qu’il était défendu non seulement de leur en vendre pour enlever, mais encore de leur en laisser boire dans les cabarets. ”
Il n’y a qu’une ombre dans ce tableau, d’ailleurs mouvementé et riant : c’est la position humiliée qu’y occupent les étrangers. On leur refuse le vin de l’hospitalité. Vieilles mœurs capables de plaire aux protectionnistes, qui ne sont pas les mœurs des Bordelais d’aujourd’hui.
Autre est l’impression produite sur Théophile Gautier par Bordeaux, il y a cinquante ans, impression de grandeur mais de tristesse, plus poétique que réelle. Je reproduis cette page du grand styliste plutôt pour sa valeur littéraire que pour l’exactitude de ses détails.
Voici de quelle façon s’exprime Gautier :
“Bordeaux a beaucoup de ressemblance avec Versailles pour le goût des bâtiments : on voit qu’on a été préoccupé de cette idée de dépasser Paris en grandeur ; les rues sont plus larges, les maisons plus vastes, les appartements plus hauts. Le théâtre a des dimensions énormes ; c’est l’Odéon fondu dans la Bourse. Mais les habitants ont de la peine à remplir leur ville ; ils font tout ce qu’ils peuvent pour paraître nombreux ; mais toute leur turbulence méridionale ne suffit pas à meubler ces bâtisses disproportionnées ; ces hautes fenêtres ont rarement des rideaux, et l’herbe croît mélancoliquement dans les immenses cours. Ce qui anime la ville, ce sont les grisettes et les femmes du peuple, elles sont réellement très jolies : presque toutes ont le nez droit, les joues sans pommettes, de grands yeux noirs dans un ovale pâle d’un effet charmant. Leur coiffure est très-originale ; elle se compose d’un madras de couleurs éclatantes, posé à la façon des créoles, très en arrière, et contenant les cheveux qui tombent assez bas sur la nuque ; le reste de l’ajustement consiste en un grand châle droit qui va jusqu’aux talons, et une robe d’indienne à longs plis. Ces femmes ont la démarche alerte et vive, la taille souple et cambrée, naturellement fine. Elles portent sur leur tête les paniers, les paquets et les cruches d’eau qui, par parenthèse, sont d’une forme très élégante. Avec leur amphore sur la tête, leur costume à plis droits, on les prendrait pour des filles grecques et des princesses Nausicaa allant à la fontaine.”
Théophile Gautier a dû visiter Bordeaux un jour de canicule, où la ville avait été désertée par la moitié de la population. En tous cas, nous pouvons constater que si l’impression de Gautier était juste en 1840, il n’en serait pas de même aujourd’hui. Le chiffre de la population s’est plus que doublé ; la dernière grisette à madras est morte hier, octogénaire. »
Bordeaux d'hier et d'aujourd'hui. Préface d'Armand Silvestre,...
Date de l'édition originale : 1896
Appartient à l'ensemble documentaire : Aquit1
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L'auteur - Ernest Laroche
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Caractéristiques techniques
PAPIER | |
Éditeur(s) | Hachette |
Auteur(s) | Ernest Laroche |
Collection | Littératures |
Parution | 01/06/2016 |
Nb. de pages | 232 |
Format | 15.6 x 23.4 |
Couverture | Broché |
Poids | 332g |
EAN13 | 9782013740661 |
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