Résumé
Tout tourne ici autour d'un lieu : Gormenghast, antique château accroché à flanc de montagne, peuplé d'un ramassis d'étranges personnages soumis aux caprices du seigneur de l'endroit, Lord Tombal (76e du nom), et des siens. Autour d'eux - mais hors des remparts - gravite tout un peuple d'artisans dont la vie laborieuse obéit à des rites bizarres : leur seule joie, dirait-on, consiste à offrir une fois l'an à leur seigneur les œuvres de leur industrie - des statues de bois taillées avec art, dont quelques-unes sont admises à finir au musée du château (les autres alimentent une copieuse flambée). Le lecteur éprouve un peu d'inquiétude, puis une réelle jouissance, à se laisser promener dans les couloirs de Gormenghast, labyrinthe de proportions gigantesques aménagé par quelque architecte fou, où chaque porte cache un piège, un secret terrible ou une merveille inattendue ; et plus d'inquiétude encore (et non moins de plaisir) à s'attacher aux pas des divers individus qui hantent l'endroit : Lord Tombal en premier lieu, sorte de roi Lear lunatique qui ne vit que dans et pour ses livres ; puis sa dame, l'abondante et pathétique comtesse Gertrude, laquelle essaie d'oublier son poids en liant amitié avec tous les oiseaux du ciel ; puis le colossal cuisinier aux pieds de limande ; puis le grinçant majordome à l'impossible maigreur... puis la jeune Fuchsia, fille des maîtres de la place, sauvageonne insaisissable, rétive à toute loi... puis Titus, son jeune frère, péché de vieillesse de ses parents, dont tout annonce qu'il leur donnera du fil à retordre. Puis quelques autres encore qui, à leurs côtés, et selon leurs talents particuliers, poursuivent folles lubies, passions désespérées, noirs complots, rêves criminels, songeries angéliques (ou le tout à la fois) Chose bizarre, le lecteur est très vite captivé par les mille aventures qui se nouent et se dénouent à chaque coin de corridor, et se dit nonobstant que le sens de tout cela lui échappe un peu - même s'il est clair à ses yeux que sens il y a. Car tout le génie de Peake consiste à prêter au monde « impossible »où il nous entraîne (à une époque et en une contrée soigneusement indéterminées) une réalité à ce point sidérante qu'il devient bientôt notre monde : et le seul, même, qui ait dès lors existence à nos yeux. Quant au sens dont nous reniflons les effluves sous les portes, derrières les lourdes tentures, au fond des caves ou au plus haut des tours... l'auteur s'arrangera pour ne nous le rendre pleinement manifeste qu'au dernier volume de sa trilogie - et de la plus bouleversante façon qui soit.