Résumé
Lorsqu'on cherche à dégager quelques vues philosophiques des faits qu'étudient les sciences économiques, la première impression ressentie est celle d'une profonde admiration pour le merveilleux agencement par l'effet duquel se coordonnent les initiatives individuelles d'une foule d'hommes, dont aucun ne se préoccupe sérieusement des répercussions de son activité personnelle sur la situation générale. Pour n'en prendre qu'un exemple, peut-on constater sans étonnement l'équilibre qui s'établit dans les opérations des millions d'individus participant aux transactions entre un pays comme l'Angleterre et le reste du monde ? Il n'est pas douteux que, si l'on ajoute aux achats et aux ventes de marchandises les émissions et les transmissions de titres, le revenu des placements à l'étranger, les transports sur mer, les dépenses des voyageurs, le total de ces opérations se chiffre chaque année par plus de 20 milliards à payer et à peu près autant à recevoir. Or, il se trouve qu'elles se compensent toujours assez exactement pour que le solde annuel se traduise par l'entrée ou la sortie de quelques centaines de millions d'or, tout au plus, et que ces entrées et ces sorties elles-mêmes s'équilibrent à très peu près dans une période de quelques années.
On ne peut s'empêcher de comparer cette convergence des activités économiques à celle de toutes les actions mécaniques, physiques et chimiques qui constituent la vie d'une plante ou d'un animal. En commençant ce livre même, où nous insisterons sur l'impossibilité de découvrir dans les groupements sociaux rien d'analogue à l'unité réelle ou apparente de l'être vivant et conscient, le premier mot venu à notre pensée, pour désigner cette coordination, n'est-il pas celui d'organisme économique, dont cependant nous reconnaissons hautement le caractère métaphorique ?
La permanence des connexions d'où résulte l'agencement des phénomènes économiques a conduit les premiers maîtres de la science à en accepter les conséquences, comme on accepte celles des lois naturelles, en cherchant à tirer profit de leur connaissance, mais non à les modifier. C'est cette acceptation que l'on appelle, suivant le tempérament de chaque auteur ou de chaque critique, tantôt un optimisme béat, tantôt un pessimisme navrant, car on peut la traduire indifféremment par l'une ou l'autre de ces formules : tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, - ou : tout va au moins mal dans le moins mauvais des mondes possibles, - ou même : tout marche au plus mal dans le pire des mondes possibles, - formules qui toutes reviennent à dire que le inonde est ce qu'il est, que nous arrivons très difficilement à en imaginer un autre et jamais à démontrer sa possibilité.