Résumé
Lire aujourd'hui trois des livres majeurs de Ghérasim Luca, c'est vérifier combien cette poésie-vertige reste dans autre exemple, au point que Gilles Deleuze n'avait pas craint de la présenter comme la plus grande du siècle. Dans ses poèmes, Luca est toujours comme cet autre lui-même, ce Héros-Limite qui bute sur les mots comme on s'abîme de piège en piège. Il broie en fait de la pensée comme d'autres du noir, et c'est de la nuit de son bégaiement qu'il surgit décapé, tranchant, ironique, avec autour de lui des langues de bois coupées à la hache, des discours joliment raccourcis et des façons de dire éventrées sans façon. Car dans cette profération il y a place pour la relaxation, le rire, le foudroiement. Place également pour le désir, l'amour et la passion qui, passionnément, ne ment pas.
L'auteur - Ghérasim Luca
Ghérasim Luca (Bucarest le 23 juillet 1913 - Paris le 9 février 1994), est un poète roumain dont la majeure partie de l’œuvre a été publiée et écrite en français. À partir de 1985, les Éditions Corti rééditent certains de ses livres, notamment ceux des Éditions Le Soleil Noir, puis des inédits.
Ghérasim Luca est né à Bucarest dans un milieu juif libéral. Il fut dès ses jeunes années en contact avec plusieurs langues, en particulier le français, langue de la culture littéraire – culture contestée on le sait par un autre roumain Tristan Tzara, de près de vingt ans son aîné. La culture germanique, viennoise et berlinoise, est très présente à Bucarest au début des années trente, qui sont ses années de formation. Luca lit très tôt les philosophes allemands et connaît les débats qui nourrissent la réflexion sur la psychanalyse ; son ami Dolfi Trost, de formation psychanalytique, encourage cette découverte. Il collabore à différentes revues "frénétiques" d’orientation surréaliste Alge, Unu, etc. À la fin des années trente, il concentre son intérêt sur la production du surréalisme parisien, auquel ses amis Jacques Hérold et Victor Brauner sont liés. Il correspond avec André Breton, mais, visitant Paris, il renonce à le rencontrer. La guerre l’y surprend, il parvient à regagner la Roumanie et à y survivre.
C’est dans la brève période de liberté avant le socialisme que Luca renaît à la littérature et au dessin, suscitant un groupe surréaliste avec quelques amis. Il dispose d’une imprimerie et d’un lieu d’exposition, multiplie les libelles, collectionne les objets d’art et adopte la langue française dans son désir de rompre avec la langue maternelle.
En 1952 il quitte la Roumanie et s’installe à Paris.
Ses poèmes, dessins ou collages (cubomanies) sont publiés par la revue Phases. Il élabore des livres-objets auxquels contribuent Jacques Hérold, Max Ernst, Piotr Kowalski. Le Soleil Noir au cours des années 70 relance ce goût pour l’objet quasi magique qu’il cherche alors à réaliser, accompagné d’un disque du texte lu par sa propre voix.
Au travail sur la langue, roumaine ou française, avec ses effets de bégaiement décrits par Gilles Deleuze, il faut ajouter la mise en scène de ses écrits et le travail de tout le corps que représentait pour lui la lecture publique de ses écrits, lors de festivals de poésie, dont certains sont restés célèbres, dans les années 1960, à Amsterdam ou à New York.
Dans sa solitude et sa recherche d’une pierre philosophale, d’une "clé", Luca troublé par la montée des courants raciste et antisémite s’est suicidé en janvier 1994.
© Dictionnaire des lettres françaises, Le XXe siècle, La Pochotèque, Librairie Générale Française, 1998.
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