Résumé
Le recueil tient, d'abord, par l'unité d'une norme typographique attendue : la justification à gauche. Ainsi posée en titre, néanmoins, l'expression Drapeaux droits annonce plus que le simple alignement caractéristique des compositions métriques traditionnelles : elle indique une attention particulière portée à la dimension visuelle des poèmes, laissant imaginer que chacun d'eux est, en quelque sorte, un drapeau.
Le poème se donnerait ainsi à voir comme une construction minimale, tout à la fois
objet, image et signe, puisque le mot drapeau désigne à la fois l'image et son support. Image on ne peut plus flottante, réduite au minimum de sa matérialité, mais dressée, érigée et fixée pour marquer, orienter un espace, une chose ou une personne en lui surimposant un signe, double idéal ancré dans la réalité sensible qui doit lui
correspondre.
Les poèmes-drapeaux laissent flotter la fin de leurs vers irréguliers, plus ou moins tendus, dans le vide de la page. Beaucoup relèvent de l'épigramme, au sens ancien d'abord, en ceci qu'ils se pensent comme des inscriptions, mais aussi en des sens plus récents, par le recours fréquent au jeu de mot ou au trait d'esprit.
Autant dire que la dimension normée, conventionnelle de la signification du drapeau est ici déjouée par la pauvreté spécifique de l'épigramme, du poème souvent rongé de prose, à moins que ce ne soit, plus vraisemblablement, une prose en train d'être rongée par quelques vers. Drapeau sans monument : marquage, agencement aussi mystérieux que manifeste, comme les cairns évoqués dans un poème un peu plus long, premier repère dans le fil du recueil.
La règle d'unité formelle annoncée par le titre autorise et impose par ailleurs la plus
grande liberté et les plus grands écarts entre les thèmes, les tons. Des poèmes humoristiques, légers, voire ludiques, en croisent d'autres plus sincères, portés par un désir plus nu de vérité ou d'expression. Des poèmes autotéliques ou « évidents », affirment n'exister que pour eux-mêmes, quand d'autres avouent, célèbrent, accusent, appellent ou plaignent, parlant d'un monde réel plus ou moins proche, rappelé, perdu ou nié.
Ces tensions du grave et du léger, du figuratif et de l'abstrait, de la géométrie et du lyrisme, avec l'appui de quelques poèmes un peu plus longs (toujours divisés en unités restreintes au format commun), rythment le recueil. Elles disent un vertige contre lequel la forme-tenant-à-peu-près-debout doit sans cesse lutter pour que l'ensemble tienne lui-même à peu près, et que la « petite fête dans le vide » ait lieu, et se consume, généreuse au moins envers elle-même.