Résumé
Il est rare qu'un premier roman manifeste un talent aussi évident que celui de Maurice Fickelson. Un monde aussitôt s'impose au lecteur, magique, surprenant, ironique aussi, et bizarrement familier. Dod est un jeune homme paralysé des deux jambes, qui semble mener une morne existence d'étudiant invalide. Livré aux soins d'une gouvernante et d'une infirmière, ainsi qu'à ceux d'une redoutable petite fille, il assiste à ses cours dans son fauteuil roulant, reçoit ses parents, des amis, son médecin. Une vie presque normale pour un infirme si ce n'était les migraines persistantes qui le traquent et colorent ses jours d'une brume étrange. Mais on s'aperçoit bientôt qu'il y a deux personnages en lui, dont l'un est insoupçonnable. Opposé à celui qui nous est décrit au présent, il existe un Dod nocturne ; celui-ci hante les bouges de la ville, à la poursuite d'une actrice qu'il aime et qui lui apparaît sous des traits changeants. Chaque soir, il rejoint là-bas une troupe de joyeux compagnons qui le fêtent et le persécutent tour à tour. Il les retrouve réellement, à moins qu'il n'évoque des moments de sa vie passée, quand la maladie ne l'avait pas encore contraint à cette pénible immobilité, ou peut-être rêve-t-il aussi ces aventures au pays des merveilles pour abuser sa solitude... S'agit-il d'un simulateur, ou d'un voyageur imaginaire, entraîné par ses songes vers un univers onirique, plus vrai peu à peu que le terne quotidien ? On a bien l'impression qu'il s'agit d'un récit initiatique, qui nous mène au-delà des frontières de la logique, sans en être s-r, toutefois, et tout l'art est là. Avec une habileté et une minutie diabolique, Maurice Fickelson réussit à maintenir l'équivoque jusqu'à l'extrême fin du livre, et cette incertitude délicieuse n'est pas le moindre prix de ce roman riche, dense, et d'une surprenante sincérité, comme si l'auteur avait lui-même connu ce dont il parle. Il y a là une voix neuve et pleine, qui rappelle, à travers Lewis Carroll, le Michaux de Plume, et le charme envo-tant du Grand Meaulnes. Capale de jouer sur tous les registres, du fantastique au réalisme le plus convaincant, on peut affirmer qu'avec Maurice Fickelson, un romancier d'une incontestable et singulière présence fait son apparition dans les Lettres. Peut-on le dire souvent, et avec une pareille certitude ?