Résumé
Aimer David, ce titre n'est pas pour Alain Jouffroy l'aveu d'une tocade mais l'énoncé d'un programme. Cet essai paru en 1989, pour les 200 ans de la Révolution et parallèlement à la grande rétrospective consacrée à David au Louvre, s'inscrit dans un plus vaste engagement de l'auteur pour, à l'encontre de la proclamation de la mort du sens sous la « tyrannie esthético-morale du nihilisme », renouer le fil d'une « nouvelle peinture d'histoire » signifiante dont il voit les continuateurs en certains peintres de la figuration narrative et, en David, le grand initiateur. Il s'agit donc de revenir à ce que fut ce dernier avant de devenir dans notre esprit le peintre des images glacées de nos livres d'histoire : l'homme d'une révolution politique et esthétique.
Cette défense et illustration de David est le fruit d'une subjectivité bien informée qui tour à tour célèbre des aspects méconnus du peintre et affronte sans ciller les reproches historiques qui lui sont adressés, en particulier son engagement passionné aux côtés de Robespierre en tant que député de la Convention et ses concessions à Bonaparte. Chapitre après chapitre, elle se présente sous la forme d'une lutte de points de vue (documents à l'appui en annexes) entre d'une part les adversaires de David, dans les tourments de son temps et par la suite, et d'autre part ses défenseurs : Baudelaire, Delacroix, Apollinaire pour les plus éminents - ainsi, bien sûr, que Jouffroy lui-même. De tout cela se dégage l'image d'un peintre impulsif et bouillant, « double » de Sade, présent à son époque comme peu d'autres, peignant sur le champ de bataille de l'histoire à ses risques et périls, et à mille lieues de l'image courante d'un néo-classicisme froid.
Alain Jouffroy admet sans ambages le caractère partisan de son entreprise. Mais ce faisant, il agit justement en puissant révélateur de ce que la réputation du peintre dissimule d'idéologie sous couvert de jugement esthétique, toute lecture de la Révolution française ayant par force des implications politiques, même deux siècles après. « Aragon, oui ! Char, oui ! Breton, oui ! Claudel, non ! » : telle est, à l'extrême, la façon dont l'approche de David et de son temps donne matière à l'auteur pour affirmer une vision autre de notre histoire dans ses aspects politiques et artistiques et, du même coup, le recoupement impératif de ces deux champs.