Résumé
La prématurité semble être une réalité anodine pour le grand public. On "sauve" même des bébés de 1000 grammes ! Mais sait-on au prix de quelles souffrances, sait-on à quel point leur santé future peut être fragilisée ? Et a-t-on vraiment conscience du drame, humain et social, que représente ce phénomène dans nos pays occidentaux ? On compte en France vingt fois plus de nouveau-nés de moins de 1000 grammes qu'il y a trente ans. Surcharge de travail, mauvaise hygiène de vie, longs transports multiplient les risques. Par ailleurs, les procréations médicalement assistées entraînent un taux élevé de grande prématurité. Pourtant, bien des couples ne sont pas vraiment stériles et, souvent, une psychothérapie ou le recours à une médecine douce aurait suffi... Le professeur Jean-Pierre Relier, l'un des meilleurs spécialistes de la néonatologie en France, lance avec ce livre un cri d'alarme. Il nous raconte l'histoire d'Adrien - né à cinq mois et demi et pesant 795 grammes - de sa famille, et nous amène à comprendre, avec une émotion plus éloquente que tout discours, une réalité qu'il est criminel d'ignorer aujourd'hui.
Sommaire
Agathe sentit une présence, elle se retourna. Paul la regardait, ému, un superbe bouquet de fleurs jaunes à la main. Agathe adorait les fleurs jaunes. Ses traits étaient tirés mais son sourire en disait long sur les sentiments qu'il éprouvait. Il se précipita vers elle et la serra dans bras. Paul l'aimait toujours. – Je suis passé voir Adrien. Il va bien. C'est un peu impressionnant, il a des tuyaux et des fils partout, mais ils m'ont affirmé qu'il ne souffre pas. Il avait l'air très calme, en effet. Il dormait. Il a un petit bonnet pour protéger sa tête, comme en portent les marins mais en bleu clair; et tu sais quoi, il est couché sur un matelas d'eau, comme celui qu'on a essayé à Biarritz, tu te rappelles. Il paraît que cela recrée un peu l'impression du liquide amniotique. Il est adorable. J'aurais bien voulu le prendre dans mes bras, mais ce n'est pas encore possible. Nous avons un très beau garçon. Je t'aime. Agathe avait la gorge trop serrée pour répondre. Elle essayait de retenir ses larmes, mais la tendresse dont l'enveloppait son mari fit céder sa résistance et elle s'écroula en sanglots. Elle lui avoua en hoquetant: – Moi qui m'étais maquillée pour être belle, c'est raté. Ils partirent d'un grand éclat de rire. Le médecin et son aréopage d'internes et d'infirmières entrèrent à cet instant. ***Un autre problème préoccupait le professeur. Si les techniques modernes permettaient de faire survivre des prématurés de très petit poids, les médecins qui accomplissaient ces exploits et les mères qui leur confiaient leur enfant ne semblaient guère se poser la question de la douleur physique et morale que supportait ce nouveau-né, ni du risque de handicap futur, ni du coût financier, que cela représentait pour la collectivité. Il n'avait pas parlé à Agathe et Paul Staubert des souffrances qu'endurait le petit Adrien afin de ne pas alimenter la culpabilité de la maman. Malgré les antalgiques, le professeur n'était jamais certain qu'elles disparussent totalement. Combien en avait-il vu de ces petits êtres tenter d'arracher les valves et les tuyaux qui sortaient de leur nez, de leur bouche, de leur nombril. Combien en avait-il vu se boucher les oreilles avec leurs poings serrés, incommodés par le bruit des machines auxquelles ils étaient reliés et dont leur vie dépendait pourtant. Combien en avait-il vu, lorsqu'on les libérait de l'intubation, hurler, pendant des heures, de désespoir et de colère aussi. Une colère juste. Ces enfants savaient qu'on leur avait volé leur temps de gestation, qu'on avait fait de ce temps de pur bonheur un temps de souffrance, de désarroi, de lutte, d'angoisse. Ils allaient maintenant affronter la vie avec ce bagage lourd, noir, encombrant, douloureux, qui toujours, sous une forme ou une autre, se rappellerait à leur bon souvenir. Le professeur était impressionné par cette colère des prématurés que seule la mère pouvait apaiser. Cette colère était un appel, un appel à cette même mère qui l'avait abandonné et qu'il cherchait à tout instant, tous sens tendus vers cet ailleurs, d'où elle viendrait. ***Les effluves salvatrices envahirent soudain l'incubateur. "Ta Maman" arrivait. Il n'entendait pas encore sa voix, mais bientôt elle se pencherait au-dessus de lui et l'enivrerait de cette odeur sucrée, aux modulations acidulées dont les notes poivrées libéraient une légère amertume, équilibrant ainsi la subtile alchimie. Adrien s'étira sous l'effet de cette caresse immatérielle. L'odeur de "Ta Maman" le protégeait, tout en l'incitant à dépasser ses limites. Il s'y prélassait avec délice comme il le faisait autrefois dans l'odorant liquide qui remplissait le merveilleux habitacle. La fadeur écœurante de la boîte, dans laquelle il était maintenant enfermé, le déconcertait. Il se retrouvait exilé dans un ailleurs aride, où les ondes, quand il était seul, se dématérialisaient faute d'écho, ce qui le vidait de toute énergie. Il flottait dans une vacuité stérile, qui le repoussait et qu'il repoussait aussi, élargissant le gouffre qui le séparait de la vie. La colère puis le désespoir l'étouffait tour à tour. La "voix douce aux mains souples" qui s'occupait de lui toutes les deux heures, réussissait à stopper la colère qui grondait en lui sans toutefois parvenir à lui insuffler cet élan de vie qu'il recevait de "Ta Maman". La "voix douce aux mains souples" l'encourageait, le câlinait, l'embrassait, en s'excusant de l'embêter aussi souvent. "Je m'appelle Isabelle, tu ne m'oublieras pas j'espère quand tu rentreras chez ta maman, parce que moi, mon petit Adrien, je ne t'oublierai jamais. Tu te rappelleras I.S.A.B.E.L.L.E".Isabelle exhalait un parfum qui fleurait la bergamote mais que masquait de temps en temps des relents âcres de désinfectants. Il cessait de pleurer dès qu'elle ouvrait le hublot de l'incubateur. Elle le caressait pour calmer les gros sanglots qui le secouaient encore et ne commençait les soins que lorsqu'il était détendu, confiant. Adrien percevait l'extrême précaution qu'elle mettait dans le moindre de ses gestes afin qu'il souffrît le moins possible. Elle prenait toujours le temps de lui expliquer ce qu'elle faisait: "Je vais te mettre dans un coin de ta petite maison pour changer ton drap de dessous. Je l'enlève pour en mettre un autre tout doux, tout propre. Tu verras tu te sentiras mieux après.""Excuse-moi mais je vais te piquer le talon pour faire un prélèvement, ça ne dure que trois secondes. Tu es prêt?" Isabelle avait pris son pied gauche, il tentait de le retirer elle le maintenait fermement. Il se préparait à l'épreuve qui n'en était pas moins forte, mais cela supprimait l'horripilant effet de surprise. La douleur, contre laquelle il n'était pas encore suffisamment armé pour la juguler, accélérait les battements de son cœur, contractait ses muscles – les contractures occasionnaient alors des mouvements désordonnés de ses bras et de ses jambes –, l'inondait de sueur, provoquait un cri qui brûlait son larynx et déclenchait les inévitables larmes qui remplissaient sa bouche d'un goût salé, parfois même elle le laissait suffocant en apnée prolongée. "Voilà c'est fini!" Isabelle caressait doucement l'endroit où l'aiguille avait pénétré. "Je ne t'embête plus. On va faire un brin de toilette pour être tout beau quand "Ta Maman" viendra, cet après-midi."
Caractéristiques techniques
PAPIER | |
Éditeur(s) | Robert Laffont |
Auteur(s) | Jean-Pierre Relier |
Parution | 17/01/2002 |
Nb. de pages | 288 |
Format | 14 x 21 |
Couverture | Broché |
Poids | 360g |
EAN13 | 9782221093320 |
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