Alchimie des bétons N°462

Icône lisse, changeante au ciel, la Bibliothèque Nationale de France avait prêté une de ses quatre tours à la nuit blanche du 5 octobre. Les artistes berlinois Chaos Computer Club ont marié le numérique et la lumière, et transformé chaque fenêtre en pixel géant. La façade s'animait, comme une pub qui ne nommerait aucun produit, mais désignerait un paradoxe : le signe numérique qui prend la tangente de son support écran. Et sur le temple du livre, la distance se fait ironique et plus critique qu'il n'y paraît. Narquoise, brillait cette nouvelle Electra.

Pourquoi, quand dans les rues de Paris on se pressait en foule dense vers des lieux de l'art aux portes, une fois encore trop étroites, fallait-il que quelqu'un en vienne à un acte sanglant de terrorisme culturel. Est-ce un geste isolé ? De multiples signes tendent à dire le contraire. L'acte manifeste l'obscurantisme du jugement, la parenthèse coercitive du je n'aime, je n'aime pas. L'acte enferme toute différence possible dans les murailles de la norme. Il marche à l'amble avec l'idée de punition qui remplace celle d'éducation, avec les squatts uniquement habités à des loyers de lofts ou signés de labels institutionnels, avec les cages d'escaliers promises aux solitudes des paliers, les prostituées indexées, les religions ennemies et vertigineusement précipitées dans leurs plus meurtrières perversions. Alors, comment croire à l'errement d'un seul? Ou ne pas y croire? L'intolérance arme la main. On souhaiterait tant que la cité s'édifie toujours radieuse...

En Seine-Saint-Denis, on pleure la grande exposition annulée, et tout ce qui aurait pu l'accompagner. A Marseille, ses résidents fêtent les 50 ans de la maison du Fada, dont le plan utopiste, avec sa salle de gym et son école maternelle sur le toit terrasse espérait dépénaliser les rencontres entre habitants à l'esprit sain dans un corps sain, et l'architecture de même. Une petite voix iconoclaste dit pourtant : il errait, le Corbu, dans son épatante fiction ; il excluait lui aussi en construisant pour ses populations captives des îles flottant sur les horizons sans mémoire. Peut-être.

Et alors, est-ce une raison pour désespérer? Nous nous obstinerons à penser qu'un acte culturel à l'échelle urbaine est un acte social, et qu'en ceci il est difficile, périlleux, et infiniment précieux.

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