Résumé
Réunissant d'une part carnets, d'autre part textes et entretiens dont l'écriture ou la parution s'échelonnent des années 1970 à aujourd'hui, Le Temps de peindre jette sur l'œuvre de la peintre Monique Frydman un éclairage nouveau par son ampleur et par sa profondeur. C'est en effet le premier mérite de ce volume en deux volets, doublement préfacé et enrichi d'un index, que de proposer au lecteur une approche croisée de ce travail dans lequel l'écriture, avant, pendant, après, joue un rôle constitutif, ne serait-ce qu'en permettant à l'artiste de « rationaliser par la parole » ce qui advient dans sa peinture.
De fait, la lecture le révèle, les questions du hasard, de l'aléatoire ou de l'accident sont déterminantes chez une peintre dont la « grammaire picturale », loin d'être une constante, s'est formée au travers d'un long cheminement. Indices biographiques, énoncés d'intentions et regards rétrospectifs aideront le lecteur à reconstituer cet itinéraire complexe et sans cesse redéfini. L'abandon de toute activité artistique propre en 1967, quelques mois après la sortie des Beaux-Arts, au profit de l'action militante ; le retour à la peinture, au début des années 1970, à la faveur d'un questionnement identitaire dans lequel le féminisme agit en catalyseur ; l'abandon progressif de la figuration obsessionnelle du corps et l'accession à l'abstrait ; l'exploration de ses origines juives et du traumatisme de la Shoah; la grande « découverte » de ces cordages et ficelles dont la trace sur la toile s'apparente à une signature ; les voyages en Australie, au Japon... éléments décisifs pour saisir une démarche où même l'usage de la couleur ne s'est imposé qu'au terme d'une lente « montée ».
Les textes de conférences et l'évocation répétée, dans les entretiens, de certaines œuvres et figures d'artistes permettront également de situer Monique Frydman dans une constellation dont les grands astres seraient Cézanne, Rothko, Pollock, de Kooning, Matisse, Bonnard, mais aussi Lascaux, Sassetta ou Le Greco. Ce n'est pas seulement que son œuvre, à nos yeux, s'éclaircisse de leur lumière : Monique Frydman jette sur eux un regard dont l'originalité - ainsi de sa lecture fructueuse de Cézanne à l'aune d'un « droit au bonheur » - se doit sans doute à cette forme aiguë d'empathie qui lui donne l'impression de ressentir physiquement la façon ils ont travaillé. Étonnant et éclairant, par exemple, de la part d'une peintre abstraite, ce choix de se confronter à un polyptique de Sassetta pour saisir « la vibration des couleurs ». Mais ce sont aussi, précisément, des notions classiques et donc problématiques telles que la figuration et l'abstraction, qui ne cessent ici d'être remises en jeu.
Ouvrage fourni, donc, nécessaire mise à jour, et regard prolongé sur une artiste qui n'a pas fini d'œuvrer.